Après les banques américaines, c’est le Crédit suisse qui s’effondre. Les banques européennes ne craignent que la panique de leurs clients.

Une banque ne fait jamais faillite par hasard. Les autorités américaines sont intervenues très vite pour étouffer le début d’incendie en Californie, le Crédit suisse se cherche des actionnaires. Les banques européennes ne craignent que la panique de leurs clients.
Déroute de banques
Le climat dans les grandes banques internationales est devenu détestable. Hier, le Crédit suisse, vénérable établissement de ce pays, biberonné par les dieux de la finance internationale qui s’est effondré hier en bourse avec une perte de 30% de sa valeur. Certains de ses actionnaires, et notamment l’Arabie saoudite, venaient de refuser de renforcer les fonds propres.
Dans la foulée, les banques européennes les plus sérieuses ont dévissé de 7 à 10 % sans raisons techniques apparentes, hormis la crainte de leurs clients de les voir fragilisées par les déboires des banques californiennes.
L’histoire nous enseigne qu’une banque se retrouve en risque de faillite que dans deux scénarios possibles.
Ou bien ses dirigeants ont fait des erreurs stratégiques ou des malversations (ça arrive).
Ou bien la situation est tellement compliquée que leurs clients perdent confiance dans l’établissement où ils ont placé leurs dépôts et du coup, veulent les retirer brutalement sans rationalité sérieuse. La crainte d’un danger s’avère plus grave que le danger lui-même mais provoque le même effet.
Là où la situation est très compliquée est que les difficultés d’une banque peuvent être contagieuses parce que les liens financiers sont tellement nombreux et denses que le mal se communique à la vitesse des flux digitaux.
Ce n'est pas Lehman...
Actuellement, il n’y a pas d’effets systémiques comme en 2008 avec Lehman Brothers. En 2008, la catastrophe est venue d’un excès de subprimes américains sur l’immobilier (c’est-à-dire d’une masse de crédit immobilisés consentis à une clientèle qui n’avait pas les moyens de les rembourser) et qu’en plus ces crédits ont été titrisés, c’est-à-dire transformés en produits de placements vendus aux épargnants du monde entier. Les crédits immobiliers de mauvaise qualité ont été disséminés dans le monde entier au point de bloquer le système mondial interbancaire.
Aujourd’hui, les interconnexions entre banques sont aussi nombreuses mais elles ne sont pas infestées par des produits toxiques. Les difficultés des banques ne sont pas liées. Elles ont des causes différentes.
Les banques californiennes se sont fourvoyées dans les cryptomonnaies ou se sont gavées sans vergogne d’obligations d’Etat qui se sont dévalorisées. Le Crédit suisse n’a pas respecté toutes les contraintes de sécurité (solvabilité et liquidité). Aucune banque européenne ne s’est retrouvée en défaut de respect des règlementations et toutes ont engrangé des profits plus que confortables réalisés en 2021 et 2022. Mais il faut dire qu’elles avaient aussi beaucoup grimpé. Alors elles souffrent en bourse mais sont encore gagnantes depuis le 1er janvier. Elles souffrent parce que leurs clients ont peur de la situation sans avoir conscience qu’en ayant peur de cette façon, ils vont créer les conditions de la difficulté.
Cela dit, hormis sur le Crédit suisse où la situation est assez confuse, les autorités américaines sont, pour une fois, intervenues très rapidement. Elles ont fermé les banques qui ont pris feu et le Trésor a dégagé des lignes de crédit pour garantir les dépôts de clients qui étaient menacés.
Ces mesures immédiates ont, semble-t-il, calmé le vent de défiance qui aurait embrassé l’ensemble du système bancaire, mais compte tenu de ce qui se passe en Europe maintenant, elles ne suffiront pas à sécuriser le système. Ce type d’affaires va nécessiter de tirer des leçons sur les comportements, la régulation et les finalités du système bancaire. Les banques centrales et les gouvernements ne peuvent pas faire d’erreur. Ils ont au minimum quatre leçons à tirer.
Trump, SVB... ils vont devoir s'expliquer
1ère leçon, il va falloir urgemment identifier les erreurs humaines, sanctionner les responsables et désigner les coupables de malversations, parce que les crises monétaires et financières sont à 99% imputables à des erreurs de diagnostics sur les risques ou carrément des comportements illégaux de la part de certains dirigeants. Dans le cas de ce qui s’est passé en Californie, la crise a affecté les établissements spécialisés dans la gestion des cryptomonnaies où les clients ont, à un moment donné, pris peur et voulu récupérer leurs dépôts. Ils ont été pris à leur propre piège. Dans un des cas, Silvergate, la banque a été spoliée dans la faillite de FTX, dans l’autre cas, SVB, les clients ont été pris de peur de tout perdre. Peuvent-ils se plaindre d’avoir joué dans un casino dont l’avantage était justement de n’avoir aucune règle de contrôle du fonctionnement? L’avantage des cryptomonnaies est qu’elles ne sont soumises à aucune autorité de contrôle. La confiance est entretenue par la puissance des ordinateurs de la blockchain. Sauf que la blockchain n’est guère capable de savoir si l’argent en bitcoin est de l’argent propre ou si un des acteurs n’utilise pas l’impunité ambiante pour faire du Madoff. C’est ce qui s’est passé. Le client ordinaire panique et perd sa mise.
Donc on connait les coupables, mais les clowns capables de faire du Madoff avec des Metavers, il y en a beaucoup d’autres en liberté.
Dans le cas de la Silicon Valley Bank, le scénario est ordinaire justement. Les dirigeants ont accueilli des milliards de dollars en dépôts, ils les ont placés en obligations du Trésor américain à moyen terme. Le problème, c’est que depuis plus d’un an, les taux ont monté donc la valeur du paquet d’obligations a baissé. Rien que de très banal dans le monde de la spéculation. Ce qui est moins banal, c’est que les dirigeants venaient de Lehman Brothers et deux mois avant, le CEO avait vendu pour 3 milliards d’obligations d’Etat. Malin sauf que ses clients n’ont pas eu droit à ce type d’initiations.
Bref, il va falloir retrouver tout le monde pour qu’ils s’expliquent à la barre du tribunal.
La 2e leçon est qu’il va falloir renforcer la règlementation des banques en matière de garanties. Au lendemain de la crise des subprimes, l’engagement avait été pris de renforcer la règlementation bancaire. Les Européens avaient renforcé les garanties de tous le système bancaire. Tous les ratios avaient été relevés. Fonds propres, couverture des risques, liquidités afin d’éviter un tsunami. On se prévenait de la contamination extérieure ou intérieure. C’était tellement contraignant que tout le monde s’en plaignait parce que le poids de cette règlementation gênait l’activité et son développement par rapport au système bancaire américain, qui repartait en croisière plus douce. Mais par rapport aussi aux établissements suisses qui ont toujours fait cavaliers seuls au niveau juridique et fiscal pour attirer les capitaux du monde entier. Et si la Suisse est si riche, c’est aussi parce que les Suisses sont assez peu regardants sur l’origine des fonds et la façon dont ils sont gérés.
Ce qui est vrai, c’est que le système bancaire américain a profité de ses libertés. Mais le Crédit suisse aussi. Jusqu’aujourd’hui. D’autant plus libre que Donald Trump a desserré tous les liens. La banque américaine en a beaucoup profité pour prendre des parts de marché.
Il va falloir faire machine arrière sauf que l’Amérique va entrer en période électorale. Du coup, cette question de la régulation des banques va s’inviter dans les campagnes électorales.
La 3e lecon est qu’il faudra sécuriser le fonctionnement des cryptomonnaies et faire reculer ou écarter les banques de cet univers. C’est la leçon la plus difficile à faire. Parce que le succès des cryptos est qu’elles sont libres de toute règlementation, c’est dans leur ADN. Qu’on supprime cet ADN, les cryptos retourneront dans leur liberté sans potentiel de développement. C’est un secret de polichinelle mais les cryptos ont rencontré un énorme succès parce qu’elles répondaient à la possibilité d’échapper à tout organisme de contrôle et par conséquent, pouvaient gérer de l’argent sale. L’argent des dictateurs ou des oligarques, qui peuvent ainsi échapper aux sanctions, l’argent de la drogue ou du commerce des armes etc. etc.
La mise sous surveillance des cryptomonnaies va devenir incontournable. Elle va nécessiter une volonté politique forte parce que la mise sous contrôle des cryptos signera aussi leur mort. Or aujourd’hui, beaucoup de groupes d’intérêt et d’État ont besoin de la cryptomonnaie et pas seulement pour des raisons idéologiques.
4e leçon, le choc des taux a peut être été trop violent. Les banques centrales auront à étudier avec beaucoup de vigilance leur politique de taux d’intérêt. D’ores et déjà, les plaintes arrivent à la FED comme à la BCE pour leur expliquer que la hausse des taux engendre mécaniquement une dévalorisation des obligations et c’est vrai. Mais ce débat-là risque de revenir en boomerang dans le gouvernement. Parce que si cette hausse des taux fait tant de mal, c’est évidemment parce que les investisseurs ou les banques se gavent d’obligations d’’État, mais c’est aussi parce que les Etats émettent beaucoup d’obligations parce qu’ils en ont besoin. Trop besoin. Trop de dettes. Et ça c’est une addiction qu’une leçon ne suffira pas à éradiquer rapidement.
Suivez nous sur Twitter
A lire aussi...
Le FMI annonce la déprime, ce qui marque un changement profond dont les Occidentaux peuvent pourtant se réjouir.
Le FMI a soufflé le froid sur les prévisions mondiales alors que les chefs d’entreprises guettent les premiers signes de changements positifs. Parce que si la Chine va mal, c’est une bonne nouvelle et si les taux d’intérêt remontent, ça cassera la spéculation avant l’industrie.
La guerre en Ukraine va obliger les démocraties libérales à accepter un nouvel ordre mondial.
L’année 2022 qui s’achève a mis un terme à l’organisation du monde qui avait été définie après la chute du mur de Berlin. L’année 2023 devra inventer un nouvel équilibre et sortir les gouvernements des contradictions dans lesquelles ils sont tombés.