Avec ou sans Poutine, la Russie mise aux bans des démocraties occidentales

Tous les chefs d’entreprises qui connaissent bien la Russie savent que la Russie peut difficilement se convertir aux contraintes de la démocratie occidentale. Son modèle économique est celui d’un pays vivant sur ses richesses naturelles, donc aucun intérêt à entrer dans le champ de la concurrence de marché.

Impérialisme occidental

Le monde des affaires est évidemment bouleversé par le comportement de Vladimir Poutine et découragé par ses discours qui donnent l’image d’un système complètement bloqué sur ses ambitions impérialismes.

Le projet de prendre le contrôle de l’Ukraine, l’emploi systématique de la force militaire ont cristallisé la plupart des pays de l’OTAN et de l’Union européenne, réunis pour venir en aide à l’Ukraine. Le bilan d’une année de guerre est désastreux sur le plan matériel, financier et insupportable sur le plan humain avec  150 000 morts de chaque côté, sans parler des presque 10 millions d’ukrainiens réfugiés pour se mettre à l’abri des bombes.

Ce conflit de frontières est devenu a priori un conflit entre deux blocs porteurs de deux logiques, deux conceptions de la vie politique : le bloc de l’ouest porteur des idées de la démocratie libérale et donc défenseur des libertés individuelles et des valeurs de l’occident. Et le bloc de l’est où on retrouve aux cotés de la Russie pratiquement tous les pays autoritaires et toutes les dictatures du monde qui s’opposent à l’occident.

Le monde des affaires internationales a bien compris que cette guerre est devenue une guerre pour des valeurs, comme l’expliquent des spécialistes de la géopolitique.

Encore que les ressorts de la situation actuelle ne sont pas identiques à ceux de la guerre froide. Au moment de la Guerre froide, l’antagonisme opposait deux idéologies bien différentes avec deux organisations économiques inconciliables. La concurrence de marché d’un côté, le centralisme étatique de l’autre. Le capitalisme et le collectivisme.

L’effondrement de l’URSS a éliminé de la scène internationale le collectivisme. L’économie de marché s’est imposée partout.

Un peu naïvement sans doute, le camp occidental a cru que la généralisation de l’économie de marché et les échanges étoufferaient l’autoritarisme des Etats au profit des logiques démocratiques. Il n’en a rien été. Ni en Russie, ni en Chine.

Pas une question de dirigeant

La guerre en Ukraine voulue par la Russie nous prouve que les autocraties sont solidement enracinées. Du coup, les milieux économiques occidentaux ne pensent pas que la disparition physique des dirigeants actuels pourrait régler les problèmes.

L’exemple de la Russie est très intéressante parce qu’en fait, sa structure économique ne favorise pas la mutation économique. On a cru - et certains dirigeants russes l’ont pensé - que la Russie pourrait organiser une mutation démocratique après la chute du mur de Berlin. En réalité, Boris Eltsine a échoué dans son entreprise puisque Vladimir Poutine a repris les pleins pouvoirs pour « remettre de l’ordre » et beaucoup d’analystes ont mis cette situation sur le compte de l’ADN russe.

Ils ont peut-être raison sauf que la structure économique de la Russie ne se prête pas à l’émergence d’un processus démocratique.

La Russie est un petit pays par sa population (150 millions d’habitants), mais très grand par sa superficie puisqu’il s’étend de l’Europe à la zone pacifique. Et très riche par ses ressources naturelles : le pétrole, le gaz, les métaux rares et les produits agricoles, dont le blé. Autant de richesses dont le monde a besoin. Autant de rentes qu’il suffit d’exploiter pour vivre. Depuis la fin du 20e siècle, la Russie s’est donc plongée dans une mondialisation à l’ancienne en vendant ses ressources naturelles pour acheter des produits finis dont elle pouvait avoir besoin.

La promesse de l'empire

Ce modèle-là a dispensé les dirigeants de la Fédération de Russie de monter des structures pour fabriquer des produits industriels et des services. Donc la Russie n’a pas de tissu d’entreprises, ni d’intelligence pour innover et inventer des produits de grandes consommation.  D’où la faiblesse de son PIB qui est inférieur à celui du Portugal.  Il n’y a pas même de classe moyenne comme en occident. Une élite qui vit confortablement au niveau du modèle occidental. Cette élite est très liée au pouvoir politique. Elle habite Moscou ou st Pétersbourg, elle voyage beaucoup à l’étranger mais la population, elle, vit très modestement sous la protection et les subsides de l’Etat comme autrefois sous le communisme. L’Etat redistribue un peu de ses recettes de rentes mais ses seuls investissements sont dans le matériel militaire.

La gouvernance au Kremlin tient cette population avec la promesse d’appartenir à un grand empire historique, sa culture, sa puissance et ses fastes.

Tout le discours de Vladimir Poutine revient conspuer le modèle occidental auquel l’élite russe adhère bien sûr, pour dessiner à son peuple la perspective d’un destin enraciné dans l’histoire. Le fossé entre le niveau de vie de l’élite, son style de vie et celui de la classe populaire éloignée du pouvoir est très creusé.

Dans ces conditions, les gouvernances russes qui pourraient succéder à Poutine n’ont évidemment aucun intérêt à préparer une démocratie libérale mais en plus, la situation économique intérieure fait qu’elle n’en a pas besoin puisque la Russie peut vivre sur ses matières premières.  La seule contrainte est pour Moscou de continuer à vendre du gaz et du pétrole. Les clients ne manquent pas. La boucle est bouclée. Les investisseurs occidentaux en Russie appartenaient surtout au secteur de la distribution, le retail, au secteur pétrolier et gazier et un peu à l’agroalimentaire pour le marché intérieur parce que les produits vendus en magasin sont issus de la production agricole locale et transformés sur place.  Les opportunités d’installations industrielles sont rares dans l’automobile, l’électroménager, la tech, les télécom. Le marché intérieur de la Russie (hors Moscou et St Pétersbourg) est très en retard.

Suivez nous sur Twitter

A lire aussi...

Le FMI annonce la déprime, ce qui marque un changement profond dont les Occidentaux peuvent pourtant se réjouir.

Le FMI a soufflé le froid sur les prévisions mondiales alors que les chefs d’entreprises guettent les premiers signes de changements positifs. Parce que si la Chine va mal, c’est une bonne nouvelle et si les taux d’intérêt remontent, ça cassera la spéculation avant l’industrie.

La guerre en Ukraine va obliger les démocraties libérales à accepter un nouvel ordre mondial.

L’année 2022 qui s’achève a mis un terme à l’organisation du monde qui avait été définie après la chute du mur de Berlin. L’année 2023 devra inventer un nouvel équilibre et sortir les gouvernements des contradictions dans lesquelles ils sont tombés.