Ben Bernanke, celui qui savait parler à l’oreille des spéculateurs pour éviter les faillites
En cette fin de 3e trimestre, les indicateurs socio-économiques offrent le spectacle d’une France difficile à décrypter, la consommation baisse en volume et l’épargne s’accroit. Mais l’esprit d’entreprise a rarement été aussi dynamique avec un marché de l’emploi qui est encore très tendu.


La pénurie de carburant dans de nombreuse régions françaises a mis en colère beaucoup d’automobilistes qui ont besoin de diesel et d’essence. Ils ne comprennent pas qu’on leur affirme que la France ne manquera pas de pétrole (et c’est vrai.) Ils sont prêts à accepter les hausses de prix parce qu’ils savent bien que le bouclier tarifaire sur l’énergie va se fissurer, mais ils ne supportent pas que les distributeurs ne soient pas approvisionnés. Ils ne supportent pas que des salariés soient en mesure de bloquer ainsi la circulation pour revendiquer des augmentations de salaires.
Les compagnies pétrolières sont évidemment responsables de ne pas savoir négocier des aménagements de salaire sans conflit, mais le gouvernement en prend aussi plein la tête, pour ne pas avoir anticipé des situations de blocage.
En attendant, tout ça fait désordre et le climat social se détériore en ville comme en campagne. Derrière le manque d’essence, le climat général engendré par la guerre en Ukraine commence à peser.
Les grands marqueurs d’inquiétude viennent de passer au rouge : la consommation se contracte et l’épargne gonfle dans les bas de laine et les livrets A. Mais paradoxalement, le nombre de création d’entreprises explose et le marché de l’emploi est toujours aussi tendu.
Ce qui prouve qu’à côté d’une France qui pleure ou qui se plaint, il existe une France qui reste optimiste et qui affronte le risque économique. Une France qui se désole et une France qui croit au progrès et à la prospérité économique.
-Les marqueurs de déclin et surtout d’inquiétude sont passés au rouge :
Malgré le rebond du pouvoir d’achat qui a été bien soutenu par les aides publiques au deuxième trimestre, la hausse de prix a freiné la consommation des Français au troisième trimestre. Les chiffres d’affaires ont progressé en valeur mais reculent en volume. Les trois mois d’été ont été finalement très bons pour toutes les activités de tourisme, services hôteliers, camping, clubs de vacances et transports mais les ventes de produits de grande consommation ont fléchi depuis la fin septembre.
Le troisième trimestre affiche un recul. Après les performances réalisées au lendemain du covid, la majorité des grandes enseignes font grise mine selon les chiffres de l’IRI. Fin septembre, la consommation a plongé de 3,5% et du coup, le 3e trimestre recule de 1,3% par rapport à la même période de 2021. Toutes les formes de commerce ont enregistré une baisse :
-le E-Commerce a perdu 4,9% en volume;
-les supermarchés ont reculé de 4,3%,
-les hypermarchés de 2,8%.
Alors, l’inflation dissimule cette forme de décroissance, mais la réalité est que les consommateurs ont commencé à se serrer la ceinture et à modifier leurs habitudes. Ils boudent les produits chers, le bio, les poissons frais et la viande pour se rabattre sur les premiers prix et les marques de distributeur.
L’épargne, en revanche, s’est redressée en faisant de la France le pays occidental où l’épargne de précaution est la plus importante. Selon la dernière note de l’Insee, alors que la consommation stagne ou baisse, le taux d’épargne serait remonté à 17% du revenu disponible. La croissance sera très faible cette année (0,2% au troisième trimestre) mais le pouvoir d’achat ayant été préserve grâce à l’Etat, on s’aperçoit que ce pouvoir d’achat n’a pas été consacré à protéger la consommation mais il a contribué à restaurer l’épargne de précaution
La conjugaison de ces deux indicateurs démontre que le moral des ménages qui était au plus haut juste après le covid est retombé au plus bas depuis 2013 : la guerre en Ukraine, et la vie chère notamment sur les carburants, la crainte de pénurie l’hiver prochain. Tous ces facteurs ont fait remonter le taux d’épargne de précaution bien au-delà de ce qu’il était pendant le covid où il était déjà élevé à plus de 15%.
Le grand paradoxe dans cet état des lieux et du moral de la collectivité, c’est qu’à côté de cette France qui s’inquiète, qui consomme moins et qui conserve des réserves de disponibilité, il existe une France qui continue de travailler et de prendre des risques. Le marché de l’emploi est très tendu dans toutes les activités qui demandent quelques expertise ou expérience : dans le tourisme, (restaurant), dans le bâtiment et dans le digital, les industries de la santé et de l’éducation.
Cette tension sur le marché de l’emploi ne se résoudra pas par une hausse des rémunérations. Les chefs d’entreprises qui compris la réalité de la situation cherchent à augmenter la valeur des « jobs » et améliorer la désirabilité des conditions de travail. A l’heure où beaucoup d’entreprises se félicitent, comme Sophie de Menthon "qu’on aime sa boite». Une majorité de patrons savent bien que les entreprises qu’on aime doivent aussi faire des efforts particuliers pour qu’on les aime.
Parallèlement à ce phénomène de rareté sur l’emploi, le nombre de créations d’entreprises n’a jamais été aussi important. Selon la dernière enquête IPSOS, 75 % des Français pensent que la France est en déclin, le tiers pense même que la cause est perdue et que c’est irréversible, mais Ipsos note aussi que, dans le même temps, cette France en colère crée aussi beaucoup d’entreprises puisque nous aurons 700 000 auto-entrepreneurs de plus cette année et 400 000 créations d’entreprises classiques, deux fois plus que dans les années 1990. Autant qu’au début du 20é siècle lors des années folles. La startup nation est donc une réalité.
En fait, comme souvent dans les sondages, les Français se déclarent pessimistes sur l’avenir collectif du pays, mais considèrent qu’à titre personnel, ils pensent pouvoir se débrouiller, ce qui explique leur résilience et leur optimiste qui leur permettent de prendre des initiatives et des risques. « Quoi qu’il arrive, le chef d’entreprise n’a pas à baisser les bras ».
Le comble dans ce panorama est que ces deux Frances cohabitent très bien. Actuellement et pour une grande part, les Français appartiennent aux deux catégories. Ils sont capables d’être en colère et déprimés le matin, tout en restant entreprenants et investisseurs l’après-midi.
Cette double casquette des agents économiques rend particulièrement difficile la gestion politique du pays. Difficile et certains jours impossible. Sur la réforme des retraites, de l’assistanat, du chômage ou de la lutte contre l’inflation et la hausse des prix, les Français se complaisent (sans le savoir) dans des injonctions contradictoires. Le plus souvent, les réformes sont nécessaires pour le pays, à condition d’y échapper.