Brexit : le deal n’apportera aux Anglais ni le beurre, ni l’argent du beurre mais évite seulement un chaos économique

Pour Theresa May, c’était le deal ou le chaos. Les 27 membres de l’Union européenne ont donné leur accord au Brexit tel qu’il a été négocié avec les Britanniques.
L‘accord qui scelle le divorce entre la Grande Bretagne et l’Union européenne tel qu’il a été finalement arraché par Theresa May a été signé par les 27 pays membres de l’Union européenne. Plus de 600 pages qui actent la sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne et qui règlent les relations entre le royaume britannique et le continent.
Alors, il faut certes que la Première ministre britannique obtienne encore une ratification par son Parlement. Pas facile, parce que les partisans d’un Brexit dur (hard Brexit) ne vont pas lâcher aussi facilement. Quant à ceux qui s’opposaient au divorce (les remainer), ils sont évidemment déçus par un accord qui va forcément frustrer tout le monde, mais ils considèrent que pour l'instant, le pire va être évité.
Le deal arraché par Theresa May auprès de ses amis conservateurs ne plait donc à personne, mais il a au moins le mérite de proposer des conditions qui sauvent les fondamentaux du système économique. Pour le gouvernement ou ce qu’il en reste, c’était ça ou le chaos
Pour beaucoup d’observateurs et notamment le monde de l’économie et de la finance, un divorce sans accord aurait mis en danger l’économie britannique donc l’emploi, l’activité et le niveau ou le style de vie des Britanniques. Un « hard Brexit » pouvait aussi remettre en cause l‘unité du royaume parce que ni l’Irlande, ni l’Ecosse ne pouvait accepter la perspective d’être écartée de l’Union européenne.
Les hard Brexiter qui ont, dès le début, bataillé dur pour un divorce clair l’ont fait avec une telle démagogie, mais aussi une telle maladresse dans la présentation concrète de leur projet, qu’une partie de leurs partisans ont pris peur et se sont découragés. Les partisans du hard Brexit, Boris Johnson en tête, ont d’ailleurs déserté la scène politique en rase campagne laissant Theresa May se débrouiller seule ou presque, face à la Commission de Bruxelles très unie et la majorité de son parti complètement déboussolée.
L’acte de divorce évite les risques de plonger dans l‘inconnu, mais ne peut satisfaire personne.La Grande Bretagne quittera donc l’Union européenne officiellement le 29 mars 2019, mais Theresa May a réussi à obtenir que la Grande Bretagne continue d’avoir accès au grand marché européen. Les 27 Etats membres ont évidemment imposé leurs conditions, à savoir que la réciprocité soit respectée et surtout, que la Grande Bretagne respecte les normes et les règles de l’Union européenne. Les quatre grandes libertés qui sont dans l’ADN de l’Union européenne seront donc protégées : la liberté de circulation des produits, de services, des capitaux et des hommes. Dans des conditions de concurrence fiscale et sociale équitables avec ce qui se fait sur le continent.
La Grande Bretagne va continuer de profiter du marché unique, mais elle va devoir aussi respecter des règles sur lesquelles elle ne pourra cependant plus intervenir ou négocier.
Par ailleurs, les litiges et les procédures continueront de relever des institutions européennes de justice, sur lesquelles ils n’auront plus de pouvoir.
Concrètement, les contraintes et les règles dont les hard Brexiter voulaient s’affranchir continueront de s’appliquer si la Grande Bretagne poursuit son commerce avec l’Union européenne.
En bref, Boris Johnson avait promis aux Anglais « le beurre et l’argent du beurre » mais ils n’auront ni l’un, ni l’autre.
Le déroulement des négociations a fait prendre conscience aux négociateurs que plus on s’approchait des modalités techniques, plus on s’apercevait que les deux économies, l’économie britannique et l’économie européenne étaient formidablement imbriquées et qu‘il paraissait impossible de dénouer ces relations sans profondément perturber les systèmes.Toute l’industrie automobile, aéronautique, militaire, pharmaceutique aurait été profondément désorganisée. Les transports aériens et maritimes. Tout le système de consommation aurait été lui même bouleversé puisque 60% de ce que consomment les Anglais vient aujourd’hui du continent, de Bretagne, du sud de la France ou d’Europe du Sud. Ne parlons pas des conséquences humaines et sociales sur les populations de résidents étrangers dont le statut aurait changé profondément.
Alors, la situation n’est évidemment pas encore complètement réglée parce que Theresa May, qui a arraché à son gouvernement cet accord, doit encore trouver une majorité pour adopter le texte.
Ceci étant, le parlement peut difficilement le lui refuser parce que sans accord, c’est la promesse d’un divorce brutal ou celle d’un autre referendum.
Personne n’ose imaginer ce que donnerait une fermeture brutale de l’Eurotunnel, l’arrêt des transports maritimes assurés par Brittany Ferries ou la suspension des navettes aériennes. Impensable.
Quant à la perspective d’un nouveau référendum, elle plongerait la Grande Bretagne dans une nouvelle période d’incertitude et de désordre.
Cette affaire est historiquement incroyable. Pour l’avenir de l’Europe et de la démocratie. Elle montre qu‘une décision démocratique peut être légitime à condition d’être techniquement applicable en toute connaissance de cause. Et le peuple anglais, à l’évidence, ne connaissait pas les effets probables du Brexit. Le peuple anglais les a découverts après le referendum.
Les partisans du Brexit portent une lourde responsabilité pour ne pas avoir communiqué tous les éléments du dossier. A moins qu’ils fussent animés de la seule préoccupation cynique de prendre le pouvoir et qu’en démocratie, tous les moyens sont bons, puisque « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ». Machiavel ajoutait d’ailleurs que les peuples qui croient les promesses irréalisables le paient toujours très chers. « Les princes qui gouvernent ou qui veulent accéder au pouvoir ont un devoir absolu de vérité ».
Theresa May a réussi à construire un compromis bancal entre les intérêts politiques qui lui demandaient de sortir de l’Union européenne et une contrainte économique qui l’obligeait à rester dans le marché unique. La Grande Bretagne aura inventé une nouvelle forme de coopération internationale.
Les prochaines élections européennes se joueront sans les Anglais. Le nouveau parlement et la nouvelle Commission de Bruxelles accoucheront de règles et de lois qui s’appliqueront à tous, y compris aux Anglais, mais lesquels n’auront plus les moyens de les amender. Pas sur que la démocratie si chère au peuple britannique en sorte grandie.
