Bridgestone : tout le monde ment et l’État paie très cher pour faciliter le mensonge partagé.

Le débat sur l’avenir de Bridgestone va encore empoisonner le climat social et politique pendant des mois, parce que personne ne veut assumer la vérité, à commencer par l’État, qui propose de discuter encore pendant 5 ou 6 mois afin d’élaborer les scénarios alternatifs.
Emmanuel Macron s’est fait élire sur la promesse de transformer la France en Digitale Nation. Sur le moment, personne ne comprend exactement ce que ça veut dire mais ça fait moderne, donc ça doit être porteur de progrès. Avec l’affaire Bridgestone, on s’aperçoit que ce gouvernement, comme les précédents, tombe dans le piège d’offrir un avenir à une industrie qui n’en a pas beaucoup, et de faire croire aux salariés (ils sont 850) qu’ils pourront conserver leur boulot.
Alors que le fabricant japonais de pneumatiques a annoncé vouloir fermer son usine de Béthune en 2021, la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher a annoncé hier, qu’elle allait signer un accord de méthode avec les représentants des salariés afin de trouver une solution alternative à « la fermeture de l'usine ». Durée de la réflexion, environ 5 mois, c’est à dire que ces réunions nous emmèneront à la veille du départ annoncé des Japonais. Parce que personne ne croit sérieusement que le gouvernement français trouvera une solution qui permette de conserver l’emploi en l’État. Personne dans le monde patronal, personne dans le monde des affaires, personne dans les syndicats, personne dans le monde politique national et régional, à droite comme à gauche... Mais tout le monde a son mot à dire. Tout le monde a ses coupables, tout le monde a sa solution, mais tout le monde ment vulgairement et honteusement aux salariés qui sont sur le carreau. En espérant être capable de calmer le jeu (c’est l’ambition du pouvoir en place qui a horreur de ces vagues qui provoquent des tempêtes) et beaucoup espèrent en tirer bénéfice en jouant sur l’émotion et la compassion (avec pour objectif d’espérer n’avoir aucune responsabilité dans le fiasco).
Tout le monde ment parce que la vérité n’a pas été dite à temps, faute de courage et aussi, parce qu’elle est trop cruelle. La vérité est la même que celle portée jadis à Florange. Elle tient en peu de mots : Bridgestone fabrique des produits qui sont devenus invendables sur le marché international. Bridgestone fabrique des pneus qu’on trouve en Chine quatre fois moins cher. Donc no future. La seule solution pour sauver cet établissement aurait été de fabriquer d’autres produits, beaucoup plus sophistiqués, que les Chinois ne sauront pas faire et vendre ces pneus très cher, sur des marchés très haut de gamme en Europe.
Mais pour faire cette mutation, il eut fallu investir en brevets, en formation des personnels et surtout s’y prendre bien avant. Au lendemain de la crise de 2009 quand l’industrie automobile s’est interrogée sur son propre avenir et a amorcé un changement de stratégie.
Aujourd’hui, il est évidemment trop tard. Trop tard pour investir parce que les marchés ont été captés.
Les principaux responsables sont évidemment les dirigeants japonais de Bridgestone, mais leurs complices habitent dans les cabinets de conseil européens qui n’ont pas su les convaincre. Les complices habitent aussi dans l’administration française qui a protégé un statut quo en espérant que la conjoncture n’évolue pas trop vite. Mais les faits sont têtus et les hauts fonctionnaires n’ont pas été formés pour les observer. Quant aux responsables politiques, ils ont les yeux rivés sur leurs élections, l’industrie ne les intéresse que si elle leur rapporte des voix jusqu’au moment où il est trop tard pour déployer une politique industrielle. Le client finit toujours par choisir le produit qui a la meilleure qualité au prix le plus bas. Normal, c’est un client avant d’être un citoyen patriote. Comment lui en vouloir?
Le comble, c’est d’écouter la ministre dérouler sa vérité : « nous savions que l’usine était en perte de vitesse et c’est pour cela que nous avons convié la direction de Bridgestone à la table des discussions pour regarder comment regagner de la compétitivité et de la productivité ». Comment sortir des pneus aussi peu chers que les pneu chinois ? Peut être mais trop tard.
Le comble c’est d’apprendre que ces dernières années, Bridgestone a reçu des centaines de milliers d’euros sous forme d’aides publiques.
Xavier Bertrand, le président de la région des Hauts de France ne décolère pas, parce que sa région a donné, entre 2008 et 2016, 500 000 euros auxquels il faut ajouter 120 000 euros depuis 2017. Total de l’argent régional: 620 000 euros. .
Mais le gros des subventions est venu de Paris ( 1,8 million de CICE - crédit d’impôts pour la compétitivité des entreprises, système de remboursement de charges), de la communauté d’agglomération (1,2 million) et de Bruxelles puisque l’Union européenne (via un fonds européen) a donné 500 000 euros. Mais Bruxelles a aussi donne à Bridgestone 24 millions d’euros pour cette fois installer une usine en Pologne.
Le problème, dans ce type de liaisons dangereuses, est que la réaction politique sera de demander à l’entreprise de rendre l’argent, sauf que les uns comme les autres n’ont aucune obligation de résultats.
Xavier Bertrand peut crier et prévenir qu’il fera la guerre aux dirigeants, il ne peut pas promettre d’obtenir un changement. Les jeux sont faits. Il ne peut que prier pour que cette affaire ne lui soit pas imputable lors des prochaines élections régionales, ou nationales puisqu’il a l’intention de se présenter à la présidentielle.
Xavier Bertrand est sans doute plus une victime collatérale dans cette affaire qu’un coupable, mais il sera sans doute désigné comme bouc émissaire.
L’opposition de droite essaie de ne pas trop en rajouter sauf qu’elle se protège aussi. L’opposition de gauche et d’extrême gauche exulte. François Ruffin se rappelle qu’il appartient à la France insoumise qui a chaussé les bottes de l’extrême gauche protectrice de la classe ouvrière et quand il se déplace à Béthune pour accompagner les salariés, il dénonce haut et fort le système capitaliste, la mondialisation, les accords commerciaux avec la Chine. Il amalgame toutes les composantes de la mondialisation pour condamner sans appel le système mais François Ruffin ment comme les autres tant qu’il ne reconnaitra pas que l’artisan de ce déséquilibre, c’est le client, et même l’adhérent de France insoumise qui lui aussi achète ses pneus, là où il a intérêt à les acheter mais certainement pas chez Bridgestone.
Le comble dans les comportements de la classe politique, c’est l’attitude des écolos. Ils sont anti-tout. Anti-voiture, anti-sapin de noël, anti Tour de France. Et soi-disant pour la bonne cause : la lutte conte le réchauffement climatique. Mais quand il s’agit de voler au secours d’un électorat, ils sont prêts à regretter que les dirigeants de Bridgestone n’aient pas su investir dans une usine flambant neuve pour fabriquer des pneus de luxe dont Porsche avait besoin.
