Chantiers navals STX : Bruno Le Maire chargé d’assumer l’incompréhensible

L’affaire du chantier naval de St Nazaire paraît à priori incompréhensible. Comment expliquer que la France, qui se veut leader de l’Union européenne, avec un président et une majorité complètement convertis au libéralisme économique, la France se révèle pourfendeur du protectionnisme? Comment expliquer qu’elle refuse de céder une majorité de cette entreprise française à des acteurs italiens, Ficantieri, avec lequel on s’était plutôt bien entendu jusqu'à maintenant.
Il n’y a pas d’explications audibles quand on sait que beaucoup de français font leur marché en Italie, Bolloré déjà présent dans Generali, envoie maintenant Vivendi à la chasse aux télécom italiens, Essilor champion du monde du verre correctif, se marie avec le champion du monde de la monture, Luxottica, ou que le fonds d’investissement Amundi entre chez Pioneer, que Pinault a pris Gucci et que Bernard Arnault est prêt à acheter tout ce qui bouge dans le secteur de la mode.
Comment expliquer qu’on leur ferme la porte de St Nazaire. Alors STX est désormais une belle entreprise, c’est le meilleur fabriquant de bateaux de croisières du monde, avec un carnet de commandes qui lui permet de sécuriser son activité et ses emplois pour les 20 prochaines années avec des clients dans le monde entier, dont la Chine qui sera sous peu le plus gros consommateur de croisières de la planète, avec un réseau de fournisseurs français de grande qualité, avec en plus la garantie que cette activité n’est guère délocalisable. A quoi bon délocaliser la construction navale quand le produit lui même est conçu pour bouger?
Enfin bref, l’actif principal de St Nazaire, c’est évidemment sa taille et son patrimoine de savoir faire.
Comment donner une explication crédible et acceptable quand on sait par ailleurs qu’il n’y avait pas de solution financière en France qui n’a pas le premier euro.
La tache de Bruno Le maire est incroyablement difficile à assumer.
Sauf à dire la vérité. Mais peut-on la dire parce qu’on touche alors à la géopolitique et à des intérêts supérieurs à ceux de l’entreprise. On remue des contradictions complexes avec beaucoup de lâcheté et de risques collatéraux.
Selon un certain nombre d’études, les français de Bercy auraient acquis la conviction qu’ils ne pouvaient pas avoir confiance dans le projet des italiens. D’abord sur le plan technologique, industriel et commercial, les italiens leur paraissent fragiles. Mais là, ils auraient pu s’en apercevoir avant. De toute façon, l’explication ne tient pas.
Ensuite, les fonctionnaires de Bercy les soupçonnent d’avoir un deuxième projet qui est de s’allier, dans un deuxième temps, avec des industriels et des financiers chinois.
C’est parfaitement possible. La Chine va avoir des besoins considérables dans les années qui viennent mais les chinois ne savent pas fabriquer des bateaux de croisière. Donc ils peuvent passer des commandes certes, mais ils préféreraient les fabriquer eux mêmes. Il leur faut donc acquérir la technologie et les actifs nécessaires.
Bref, le projet politique des chinois est de renouveler dans le maritime avec STX, ce qu’ils ont fait dans l’aéronautique avec Airbus où ils ont exigé un transfert de technologie pour pouvoir fabriquer leurs propres avions.
Airbus avait accepté les transferts, considérant que l’évolution technologique de leur secteur était tellement rapide que les avions qui sortiront des usines chinoises seraient obsolètes par rapport à ceux qui sortiront des ateliers de Toulouse.
Bref, les transferts de technologie fonctionnent à condition de transférer les facteurs d’évolution avec.
Cela dit, c’est vrai dans l’aéronautique, c’est moins vrai dans les équipements de transport maritimes.
Quoi qu’il en soit, cette affaire pose trois séries de problèmes.
La première est de savoir si on peut officiellement se méfier d’un partenaire de l’Union européenne alors qu’au même moment, on fait tout pour renforcer cette union.
La deuxième est de savoir si, comme les allemands, un pays membre de l'Union européenne a les moyens de trouver des solutions nationales. Dans le cas de la France, la réponse est non. Tant que nous n’aurons pas les fonds d’investissement et de capitalisation suffisants, tant que nos systèmes de retraite ne permettront pas ces fonds de capitalisation, tant que l’épargne française sera détournée sur le financement du déficit budgétaire et tant que ce budget restera déséquilibré, on ne réussira pas à dégager les moyens de financer un capitalisme national. Ou alors il faudra passer par la privatisation, donc le contribuable. Ou monter des usines à gaz avec les organismes publics type Caisse des dépôts.
Actuellement, la dernière idée en date serait de mobiliser les fournisseurs de St Nazaire en constituant un fonds d’investissement pour intervenir.
Bonne idée, mais un peu technocrate, idée théorique en somme. On ne voit pas pourquoi un industriel irait financer son client durablement et ajouter au risque commercial qu’il prend un risque financier. Son job est de fournir un produit ou un service compétitif en prix et en qualité.
La troisième série de problèmes que cela pose sera de trouver des réponses acceptables à opposer à la demande de plus en plus gourmande des chinois pour les entreprises françaises. Les chinois sont membres de l’OMC, on leur achète des tonnes de produit à faible valeur ajoutée qu’on ne peut plus fabriquer nous mêmes. Ils ont une liberté de faire circuler leurs capitaux et de recycler leurs excédents. Il va falloir faire preuve d’une grande imagination juridique et politique pour leur refuser l’entrée en France, surtout quand on n’a pas les moyens de trouver des plans B...
Les chinois sont arrivés en France quand elle a eu des difficultés à équilibrer sa balance des paiements. La France avait le choix entre prendre des petro dollars ou des yens. Elle a commencé à accepter beaucoup de petro dollars, puis elle a gouté aux investissements chinois.
Le fonds d’investissement chinois est déjà très présent dans le tourisme, Pierre et Vacances, Club Méditerranée, Accor, Air France –KLM. Mais on les trouve aussi dans l’alimentaire, les fromages Saint Hubert, Mac Donald et Danone en Chine. Ils viennent de faire une offre officielle de participation dans la Compagnie des Alpes, leader mondial des domaines skiables... Pourquoi pas à terme les constructeurs de bateaux de croisière et les fabriquant d’infrastructures pour les accueillir. Les ports et les chantiers navals. Ils achètent bien des stations de ski clefs en mains. Pourquoi pas ?
Ce qui est inquiétant dans la mutation qui se prépare, ça n’est pas l’arrivée des chinois en Europe, c’est l'absence de réponse cohérente de la part de l'Union européenne.
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