Déconfinement : les décideurs sont optimistes sur la capacité de rebond économique mais préoccupés par l’évolution à long terme

Le déconfinement ouvre la porte à la reprise économique. Tant mieux. Si les facteurs de rechute dans une 4e vague sont évités grâce à la vaccination et la défaite du virus, tant mieux. Mais ce qu’on n’évitera pas, c’est de retrouver nos bons et vieux problèmes...  

La sortie de la crise pandémique va poser des problèmes politiques très compliqués à résoudre. Parce que, qu’on le veuille ou non, la crise a creusé le fossé entre la demande politique populaire et la réalité des appareils et des systèmes qui ont véritablement permis de sortir de la crise et surtout d’éviter un désastre mondial.

Dans la plupart des grandes démocraties occidentales, les opinions publiques se sont tournées vers les structures étatiques pour qu‘elles amortissent le choc et trouvent des solutions de sortie. Parallèlement, les mêmes opinions publiques ont adhéré assez fortement aux courants populistes et souverainistes qui prônaient un renforcement de l’Etat, une fermeture des frontières et le retour à un souverainisme national. D’où le succès des partis et des positions extrémistes de l’extrême gauche et surtout de l’extrême droite. De Marine Le Pen à Philippe De Villiers, en passant par les mouvements écologistes dont le credo principal revenait à revendiquer un repliement sur soi avec une croissance au contenu différent, mais surtout à un rythme plus faible. Ces mouvements écolos ont eu d’autant plus d’influence que les partis de gauche traditionnels n’avaient plus d’offre alternative et se sont progressivement vidées de leurs adhérents.

L’axe majeur de la revendication de cette offre politique passait par une critique violente du libéralisme international, de l’économie de marché et revendiquait un renforcement de l’Etat central et de son administration, dont l’exercice devait aller bien au-delà de ses fonctions régaliennes. Si on écoute le bruit des peuples, le diagnostic est simple : le déficit de l’Etat a été évident. Pas assez d’Etat pour maintenir l’ordre, pas assez d’Etat pour mettre en place des structures de production industrielle, pas assez de tests et de vaccins, pas assez d’hôpitaux et de personnels, pas assez d’école, pas assez de tout. Il faudra donc que les pouvoirs politiques accroissent encore le rôle protecteur des structures administratives. La gestion de la pandémie montre que les structures étatiques et administratives n’ont pas été à la hauteur des problèmes posés.

Le seul point sur lequel les États ont réussi à faire dans l’urgence aura été de battre monnaie pour éviter l’asphyxie générale. Les populations et les entreprises ont été perfusées dans des proportions différentes, mais globalement avec des montants considérables. Notamment en France où le « quoi qu’il en coute », le gouvernement a ouvert les robinets de l’argent magique, à un point que les bénéficiaires n’imaginent même pas.

Le problème, c’est que dans la vraie vie, l’argent magique n’existe pas. On a donc un peu partout dans le monde distribué des aides et des subventions publiques, dont le financement a été assuré par des emprunts non garantis qu‘il faudra bien, un jour ou l’autre, rembourser, y compris par de la création monétaire qui génère de l’inflation.

Jusqu'à maintenant, les opinions publiques n’ont pas senti l’effet pervers de cette inflation monétaire orchestrée par les banques centrales (la BCE, la Réserve fédérale, la banque d’Angleterre et la banque du Japon), parce que la crise a détruit une partie de l’économie réelle en 2020 en réduisant la consommation à l’essentiel et que l’argent, mis en circulation pour compenser la destruction de valeur, a été captée par les marchés financiers et la sphère digitale. Les grands gagnants de la crise pandémique ont été les banques et les grands du numérique. L’avenir nous dira si cet argent, qu’on retrouve principalement dans les cours de bourse, n’a fait que gonfler une bulle qui finira par éclater ou alors si les systèmes économiques sauront les transformer en créations de richesses.

En dehors de la gestion des flux financiers et des perfusions, l’Etat sort en mauvais état aux yeux des citoyens.

Pour être complet, il faudra reconnaître que les structures privées ont beaucoup mieux fonctionnées que les structures publiques. Les entreprises privées, et notamment les grandes, ont répondu aux urgences beaucoup plus rapidement et efficacement. Les hôpitaux publics ont fait appel au privé, à juste titre. Les masques et les tests; les auto tests, les vaccins et les lieux de vaccination ont été délivrés, parfois même contre l’avis des autorités de santé.

Mais au-delà de ces mises en place logistiques, il va falloir reconnaître trois évolutions très importantes.

1er point, les entreprises privées ont fait preuve d’une formidable résilience pour s’adapter et réagir aux effets de la pandémie.

2e point, contre l’avis de beaucoup d’observateurs et d’analystes, on s’est aperçu que le phénomène de mondialisation n’était pas un facteur aggravant, mais au contraire, pouvait aider à la lutte contre la pandémie mondiale. Les politiques de santé ont été beaucoup plus mondialisées qu’on ne pouvait l’imaginer. La recherche sur le virus a été très rapidement mise en commun entre tous les États de la planète. Et la recherche d’un vaccin a été historiquement rapide. La distribution de ces vaccins, tout comme leur production, est en voie de bénéficier à tout le monde.

Quant aux industries, on aura toujours besoin de composants fabriqués au bout du monde. Alors constater le caractère incontournable de la mondialisation n’empêchera pas les efforts de coordination et d’harmonisation pour éviter les risques de blocage ou de rupture d’approvisionnement.

La régulation mondiale ne sera possible que si on redéfinit le rôle et les moyens des institutions capables de gérer la mondialisation : le FMI et l’OMC, l’organisation mondiale du commerce.

3e point, l’Europe. L’Union européenne n’existe principalement que par l’euro qui a gagné son caractère incontournable. L’euro, c’est le noyau dur de l’Europe et l’outil de coordination qui rend possible l’exercice des libertés de circulation des biens et services, des capitaux et des personnes. Mais cette monnaie unique, au cœur de l’ADN européenne, ne suffit pas à l’équilibre du système.

Tous ces pays qui utilisent la même devise monétaire doivent se ressembler avec des systèmes de production similaires. Il faut que leurs populations puissent voyager d’une région à l’autre pour trouver du travail. Mais il faut aussi que les capitaux circulent d’un pays à l’autre.

Ces trois conditions ne sont pas réunies : les pays ne sont pas similaires, ils réagissent donc de façon très différente à des facteurs extérieurs comme la crise pandémique. Les États ne peuvent pas préserver leur productivité, puisqu’ils n‘ont pas la possibilité de dévaluer leur monnaie. Il faut donc que ce soit les hommes et les entreprises qui bougent, mais la mobilité n’a pas été suffisante pour coordonner les efforts et les résultats. Les pays du Sud, France, Italie et Espagne, étaient déjà les plus fragiles, ils se sont retrouvés très abimés par la Covid.

Mais il y a plus grave, l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, est riche au nord et plus pauvre au Sud. Dans n’importe quelle structure fédéraliste, on trouverait une solution pour que l’épargne des pays du nord soit prêtée au pays du sud, ce qui n’est pas le cas maintenant.

D‘où le risque de voir les pays du sud craquer sous le poids des besoins de financement. C’est l’analyse et le constat qu‘a fait Mario Draghi, le Premier ministre italien, en allant négocier, avant le weekend à Bruxelles, le plan de relance italien de l’après-Covid, le premier qui sera financé de façon solidaire par l’Union européenne.

On aurait donc, selon lui, intérêt à franchir cette première marche plus souvent pour renforcer l’Union européenne.

Sur tous ces dossiers, moins d’Etat et mieux d’Etat, plus de mondialisation régulée par le FMI et l’OMC, plus d’Europe. On est très loin de la demande des opinions publiques qui, pour beaucoup, rêvent au retour d’un Etat fort, centralisé et refermé sur lui-même.