E. Macron n’a pas convaincu mais les syndicats ne se rendent pas compte qu’ils partagent la responsabilité de l’échec.

La situation est de plus en plus inextricable. Le chef de l’État s’est donné 100 jours pour restaurer une légitimité politique. Les chefs syndicaux ne se rendent pas compte qu’ils ont besoin de légitimité pour actionner les ressorts de la démocratie sociale.
Un "bon et vieux pays paralysé dans son conservatisme"
Pour l’ensemble de la classe politique et une grande partie du monde médiatique , Emmanuel Macron n’ a pas convaincu l’opinion que la page du dossier retraite était tournée. Après la décision du Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi, le « chemin démocratique » est sans doute arrivé à son terme. Sauf qu’on sent bien qu’il n’a pas calmé la colère populaire qui transfert son opposition sur d’autres dossiers socio-économiques.
Le président de la République s’est donné 100 jours pour restaurer une légitimité politique qui lui permettrait de reconstruire une majorité afin de pouvoir gouverner. Ce sera concrètement la mission d’Elisabeth Borne. Bon courage parce que le terrain ne s’y prête pas. Parce que de l’autre , pour que la démocratie sociale fonctionne, il va falloir que les syndicats soient eux aussi plus légitimes.
On ne pourra pas reprocher au président de la République de manquer de détermination dans sa volonté de rénover ce « bon et vieux pays paralysé dans son conservatisme » comme disait le Général De Gaulle.
Pour moderniser , il faut des idées, de l’imagination et les moyens de les faire accepter. Et pour ce faire, il faut certes une majorité politique ou des moyens constitutionnels mais il lui faut aussi des partenaires sociaux qui prennent leurs responsabilités. Or, les partenaires sociaux, qu’on le veuille ou non, n’ont pas pris dans cette crise leurs responsabilités de co-gérants du modèle social fondé sur le principe du paritarisme. Ils ont créé une intersyndicale qui a relativement bien fonctionné mais cette intersyndicale offre une unité qui ne s’appuie sur aucune proposition alternative, sauf la décision de s’opposer à l’exécutif.
Les syndicats de fonctionnaires sont très discrets parce que leurs troupes sont relativement épargnés dans leurs conditions de travail si on les compare aux risques que prennent les salariés du privé. Les syndicats de fonctionnaires savent qu’ils peuvent ronronner sur leur statut , leur sécurité de l’emploi , leurs salaires ( moyens mais garantis ) et surtout sur le matelas épais des dépenses de l’État ( près de 60 % du PIB).
Leur seule crainte à terme, c’est la baisse des dépenses de l’Etat et la fatigue du contribuable. Donc, dans cette affaire, les fonctionnaires ne se sont pas mobilisés massivement pour bloquer la France.
Les erreurs de Macron
Le syndicat de la CGT a défendu des postures assez radicales, non pas par idéologie mais pour préserver son unité. Certaines branches de la CGT se sont livrées à des agressions violentes contre l’outil de travail sans provoquer la réprobation ni des responsables politiques, ni de la presse, ni des organes centraux de la CGT. On pense évidemment à ce qui s’est passé à Marseille et dans tous le secteur énergie ou des cégétistes en sont venus à détériorer un outil de travail des salariés du privé qu’ils prétendent défendre. Sylvie Binet, la nouvelle secrétaire générale, ne semble pas disposée à la conciliation, prétextant que le président de la République n’ai pas fait beaucoup d’effort. Le problème est qu’il faudra bien atterrir un jour. La CGT ne peut pas restée en marge
La Cfdt est restée jusqu’alors fidèle aux positions de l’intersyndicale et participera à la grande manifestation du 1e mai , mais son secrétaire général Laurent Berger sait très bien qu’il faudra reprendre la négociation et tenir compte des réalités. Il a d’ailleurs l’ambition de sauver les régimes de retraites et il a beaucoup dénoncer les refus de l’exécutif de l’écouter une fois « le délai de décence passé ». Il reprendra les discussions sur toutes les questions économiques et sociales. Il espère même que cette crise sera l’occasion de reprendre l’initiative et la capacité de négocier dans les entreprises les améliorations des conditions de travail, à condition qu’elles soient compatibles avec les contraintes commerciales et financières. Laurent Berger est capable de défendre cette culture du compromis mais il risque de se retrouver seul, parce que ça n’est pas actuellement le credo de l’intersyndicale.
Emmanuel Macron a commis beaucoup d’erreurs dans sa manière de gouverner, c’est évident, il a manqué de majorité politique certes, mais il a aussi manqué de partenaires sociaux fort et responsables. Il n’a rien fait pour écouter les syndicats qui se sont braqués mais les syndicats eux-mêmes n’ont pas fait trop d’effort.
Pour une raison simple. Les syndicats ont eux aussi un problème de légitimité. Ils ne sont pas assez puissants. Emmanuel Macron a peut-être été mal élu. Mais du côté social, les chefs syndicaux ont toujours été désignés à l’issue de combinaisons internes un peu confuses. Le problème majeur est donc que les syndicats ne sont pas représentatifs du monde du travail. Légalement, ils le sont mais dans la vraie vie, ils sont à côté de la plaque. Le nombre global d’adhérents ne dépasse pas 11% des salariés. Donc pour affirmer leurs convictions, ils doivent adopter des positions souvent excessives et démagogiques, d’où leur culture du conflit et leur acceptation de la violence comme moyens d’actions.
Les syndicats sont nécessaires
Les syndicats ne peuvent parler de démocratie sociale que si et seulement si ils sont légitimes et ils ne seront légitimes que s’ils sont représentatifs du monde du travail. Ce qui est le cas dans les pays de l’Europe du Nord.
Et pour avoir plus d’adhérents, le pouvoir politique pourrait tenter de rendre le syndicalisme obligatoire dans les entreprises.
Mais les syndicats pourraient eux aussi se rendre plus désirables et utiles. C’est souvent le cas dans les grandes entreprises via les comités d’entreprise, via les représentants du personnel dans les conseils d’administration. La majorité des chefs d’entreprises ne souhaitent qu’une chose c’est d’avoir à côté du contre-pouvoir des actionnaires, un contre-pouvoir des salariés. C’est aussi la stratégie de la CFDT. Qui lui réussit puisqu’elle est devenue le premier syndicat dans le privé. Depuis le début du conflit, elle a d’ailleurs engrangé beaucoup d’adhésions ce qui n’est pas le cas des autres syndicats.
L’existence même de syndicats forts est la condition nécessaire au fonctionnement d’une économie paritaire comme la France.
Le chef de l’État a 100 jours pour restaurer une légitimité politique. Il pourrait aussi aider le monde syndical à se doter d’une légitimité sociale. Sinon, les 100 jours n’auront servi à rien ou alors à exacerber les fractures. Dans l’Histoire de France, le précédent des 100 jours s’était mal terminé pour le chef d’Etat de l’époque.
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