Entretien avec Xavier Fontanet : « la logique de Keynes est désormais à bout de souffle. »

 

Xavier Fontanet revient là sur les moyens dont dispose l’État pour réguler la conjoncture et impacter une politique économique. Pour cet économiste, professeur à HEC et l’Insead, ancien président de Essilor, les logiques d’intervention inspirées par les préceptes de John Meynard Keynes sont désormais à bout de souffle.

  

Pendant toute la moitié du 20e siècle, la logique de Keynes, les outils avec notamment les outils d’intervention mobilisés qui ont été préconisés par l’ancien gouverneur de la banque centrale d’Angleterre ont dominé toutes les politiques économiques depuis 70 ans.

Au lendemain de la guerre, l’idée que le moyen de se relever des cataclysmes passait par une relance de la demande a été partagée par tout l’Occident. « La demande du consommateur est le moteur de la croissance et par conséquent, de l’emploi. Cette idée a non seulement permis à l’Occident de se relever mais aussi d’éviter de céder à la tentation communiste qui vendait une promesse de paradis sur terre où chacun aurait pu disposer des moyens dont il avait besoin.

Pour tous les libéraux adeptes de l’économie de marché, de la liberté individuelle et d’un système capitaliste nourri par la propriété privée des moyens de production, la promesse communiste était utopique, elle menait à la catastrophe et à l’autoritarisme. Keynes a proposé des moyens d’adapter le capitalisme, de l’accompagner par les Etats démocratiques, sans toutefois abimer les ressorts principaux qu’étaient la propriété infidèle et la concurrence facteur de progrès. Il a inventé une sorte d’économie sociale avec comme structures et systèmes d’organisations politiques, des régimes socio-démocrates.

Tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui prouve que les préceptes de Keynes sont en recul. Comment expliquer ce changement ?

Xavier Fontanet : Je crois que, dans un monde très concurrentiel, si la logique portée par Keynes n’est pas cantonnée à des interventions temporaires, cette logique ravage les industries.

L’économiste Claude Sicard vient de publier une étude montrant, graphiques à l’appui, que la politique française visant à corriger les inégalités a pour effet de plomber l’industrie et de réduire le PIB par habitant. C’est ce qui s’est passé au cours des trente dernières années.

La réduction n’est pas l’épaisseur du trait, c’est un facteur de 1 à 2 sur cinquante ans si on observe les parcours relatifs de la France et de la Suisse.

Quand on entend nos ministres proclamer leur volonté de défendre l’industrie, comme Bruno Le Maire vient de le faire avec le « pacte productif », et laisser au même moment passer un budget en déficit (malgré le niveau d’impôts le plus élevé au monde), on est tenté de leur conseiller de prendre une feuille blanche et de faire eux-mêmes les calculs qui suivent.

 

Jean Marc Sylvestre : Par souci pédagogique, Xavier Fontanet, vous prenez l’exemple de deux pays dont les sphères publiques ont le même périmètre et occupent 57 % du PIB pour le premier et pour le second 44 %. On pense à la France et à l’Allemagne ?

Xavier Fontanet : On peut y penser mais peu importe. Calculons le prix de revient complet de deux industriels situés chacun dans un de ces deux pays en supposant que leur coût hors taxes est de 43 euros.

Charges sociales et impôts seront de 57 euros pour le premier, soit un total de 100 et 43 × (44/56) soit 34 euros pour le second donc un coût chargé de 77 euros.

Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que, même si nous sommes dans les ordres de grandeur, l’industriel qui a la malchance d’être tombé dans le mauvais pays se fera laminer à l’exportation sur la durée à moins de délocaliser ses productions.

Un calcul accessible aux élèves de sixième (100 (1+57/43)) / (100 (1+44/56)) = 56 / 43) montre que les prix de revient relatifs sont dans le rapport inverse des parts des sphères privées dans l’économie.

 JMS : c’est le cœur de l’attractivité d’un pays, c’est même au centre des avantages comparés qui étaient chers à Ricardo.

Xavier Fontanet : oui, mais ce raisonnement ne s’applique qu’à l’industrie et non aux services où les concurrents portent les mêmes charges du fait de la nature locale de l’activité. On peut assez facilement délocaliser une production industrielle. C’est beaucoup plus difficile de délocaliser une prestation de service. On voit bien que  la logique keynésienne qui consiste à accroitre les prélèvements sociaux pour financer les avantages comparés, on voit bien que cette logique ravage les industries si elle n’est pas cantonnée à des interventions temporaires.