Et si la logique d'offre était la solution face à l'inflation ?

Convaincre le consommateur d’acheter un produit pour d’autres raisons que son prix. Pour aider le consommateur à lutter contre l’inflation, les entreprises s’organisent pour proposer une offre attractive qui permette d’assumer ou d’alléger la hausse des prix.
La crise doit rendre intelligent
Ce n’est pas vrai pour tout le monde, hélas ! Mais ça doit être vrai chez les chefs d’entreprise. Après la logique de la demande, les entreprises se sont inscrites dans la logique d’offre. L’inflation galopante, qui a obligé le consommateur à raboter toutes les dépenses de consommation pendant presque un an, a finalement encouragé les entreprises à chercher des solutions durables pour garder leurs clients ou en capter de nouveaux
Au tout début du mouvement inflationniste, la première réaction des organisations professionnelles a été de se tourner vers Bercy pour que l’État vienne aider les consommateurs étranglés. Et Bercy a donc signé des chèques énergie ou carburant, chèque inflation, sans parler des fameuses primes Macron au niveau des salaires… Jusqu’à ce que Bruno Le Maire siffle la fin de la partie, avec beaucoup de courage mais aussi de difficultés, parce qu’à côté du consommateur, beaucoup de professionnels venaient demander des aides directes pour éviter un défaut de trésorerie : les boulangers, les pressings, les restaurateurs… Bref, la France, déjà structurellement assistée, se dirigeait tout droit vers une organisation complètement socialisée.
Aujourd’hui, si ce risque ne parait pas complètement écarté, on s’aperçoit qu’une grande majorité (plutôt silencieuse) de chefs d’entreprise ont pris le problème dans l’autre sens. Plutôt que d’essayer de protéger par des aides le niveau de la demande de consommation, ces patrons sont revenus à l’essence même de leur métier, c’est-à-dire de s’organiser pour proposer une offre qui corresponde à l’état du marché ou même de créer une nouvelle offre.
La grande distrib grande première
C’est la grande distribution (mais pas que) qui a donné le ton en essayant de baisser les prix offerts aux consommateurs par tous les moyens. Les 3 plus grandes centrales d’achat ont commencé par négocier leur prix d’achat ou en étalant le report des hausses à la production. Mais l’effet a été très limité. Les industriels étaient eux-mêmes coincés. La grande distribution s’est aussi lancée dans une politique systématique de soldes, de rabais ou de ristournes, mais là encore, l’effet a été marginal.
Le grand changement s’est opéré au cours des 3 derniers mois, en passant d’une politique de prix à une politique d’offre différente sur le produit. C’est ainsi que, dans la grande distribution, on a réduit la communication sur les prix bas et on a vu, sur les rayons, fleurir les marques génériques qui ont pris une part de marché sur les produits de base très importante, plus de 40. Pareillement, les grandes enseignes ont réduit les gammes de produits et le nombre de produits référencés, notamment dans le bio, trop cher, pour les remplacer par des produits locaux de proximité.
D’autres professions ont carrément changé leurs pratiques commerciales pour reconquérir des clients qui avaient disparu à cause du télétravail et de l’augmentation des prix.
Les restaurateurs, par exemple, ont réinvesti leur PGE dans la déco et l’agencement de leurs locaux commerciaux. Mais ils ont aussi changé leur carte et modifier leur prix et amélioré leur service en corrigeant leur organisation du travail. Coté prix, les fast food ou les bistrots modestes, mais aussi les boulangers qui sont à leur façon des restaurateurs, plafonnent leur ticket à 10 ou 12 euros. Et les restaurants de moyenne gamme se calent autour de 35/40 euros le ticket. En axant le déjeuner autour d’un plat et pas d’un menu… Avec des choix à la carte plus réduit. La possibilité du doggy bag, très partagée aux Etats-Unis, a commencé à se répandre en France.
Mieux, beaucoup de restaurants se sont mis aussi à proposer des abonnements. Tout comme les cinémas, qui ont fait depuis le Covid des investissements très importants afin de récupérer leur clientèle (ce qu’ils ont pratiquement réussi à faire), afin aussi de fidéliser les spectateurs qui sont sensibles à l’abonnement Netflix ou autres. Bref, les grandes chaines de cinéma offrent autre chose qu’une projection. Elles offrent des spectacles et des moments d'exception et de divertissement. D'où le choix du film ou du spectacle rediffusé, d'où le confort. etc.
Dans la pharmacie, la moitié des officines qui étaient condamnées se sont transformées radicalement pour améliorer l’accueil de leurs clients, et élargir leur offre. Entre le Covid et l’inflation, les pharmaciens ont enfin compris qu’ils étaient autre chose que des commerçants en épicerie pharmaceutique, mais en plus de véritables acteurs soignants du système de santé. Vendre du Doliprane oui c’est bien, mais vacciner, faire des tests et des prises de sang, faire des piqures et donner des soins, dans un pays où il n’y pas plus assez de médecins et où les urgences sont saturées, c’est mieux.
L’industrie n’est pas restée les bras croisés… Dans le secteur automobile, on a mis le paquet sur la location avec ou sans option d’achat, mais on a surtout étudié la façon de réduire les chaines de valeur en rapatriant et en regroupant le maximum de composants. La contrainte écologique rejoint très souvent la nécessité de faire des gains de compétitivité et de baisser les prix. C’est tout l’enjeu du groupe Stellantis pour augmenter sa marge opérationnelle. Affaire de réduction de coût, affaire de sécurité d’approvisionnement et de souveraineté, etc.
Toutes les formes d’économie circulaire se sont multipliées, donnant naissance à des petits métiers qui avaient disparu : réparation, récupération, restauration et ventes d’occasion ou locations.
Sur le secteur de la communication, tout change au profit de l’action digitale, moins de papier, notamment dans les hypermarchés, moins de prospectus distribués dans les boites aux lettres mais plus d’informations affichées dans les rayons. (C’est désormais le credo de Michel E Leclerc). Plus de contacts aussi et moins de voyages d’affaires. Pas d’exotisme et de la formation spectacle, mais plus de séminaires internes et de salons. En dehors des salons et des expositions, on n’a d’ailleurs pas retrouvé sur le tourisme d’affaires, les niveaux d’avant covid.
Le price power
Mais au-delà de ces adaptations de logiciel, beaucoup d’entreprises sont préoccupées par deux objectifs :
Le premier consiste à modifier la politique salariale, de façon à ce que les augmentations de salaires servent principalement à fidéliser des talents. Aujourd‘hui plus qu’hier, garder des salariés dans l’entreprise coute beaucoup moins cher que les recrutements. Les entreprises ont résisté à la demande d’augmentation générale, ce qui revient trop souvent à une indexation, pour privilégier des augmentations très ciblées.
Le deuxième objectif est de donner aux clients d’autres raisons de venir acheter le produit que son prix. Rendre le produit désirable ou indispensable au client, c’est pour une entreprise le nec plus ultra. Sortir de la contrainte prix. Concevoir et proposer un produit porteur d’un Price Power c’est le graal pour les équipes de marketing
Les industries du luxe ont parfaitement bien illustré ce phénomène. Peu importe le prix, le produit trouve sa clientèle parce que le produit apporte autre chose que sa valeur d’usage. Alors, c’est le cœur du modèle économique dans le secteur du luxe, mais le price power est applicable aussi dans beaucoup d’autres produits, y compris des produits de première nécessité.
Face à l’indécision du consommateur, compte tenu du prix, la réponse la plus forte de l’entreprise est de faire de l’innovation sous toutes ses formes (qualité, packaging, transparence, information sur l’origine et la composition, histoire que le produit raconte etc. etc…)
Face à la logique de la demande dans laquelle les entreprises se sont plongées pendant plus de 20 ans au cours desquels il n’y avait pas d’inflation et autant de crédit pas cher que l’on souhaitait, le système économique s’est converti à la logique de l’offre pour digérer et éviter que l’inflation freine la consommation.
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