« Fuck Business! » : la réponse de Boris Johnson manque d’élégance mais elle est claire. La décision politique sera respectée, peu importe le repli économique

Personne n’y voit clair sur l’avenir de l’économie britannique. Et le gouvernement est loin de vouloir rassurer les entreprises.
Le 29 mars 2019 à 23 heures (minuit en France), le Brexit sera effectif. Irrémédiablement. La loi qui acte le retrait britannique de l’Union européenne a donc été adoptéela semaine dernière au Parlement. Le retrait politique est certain, mais le retrait économique pose d’énormes problèmes. Dans 9 mois, le Royaume-Uni ne sera plus membre européen, accord commercial ou non. En attendant, les entreprises attendent les derniers soubresauts pour trouver une voie de sortie, commencent sérieusement à s’iniquiéter. Surtout quand Boris Johnson, ministres des Affaires étrangères, avoue par un nonchalant « Fuck Business », destiné à un public d’ambassadeurs européens, que les entreprises ne sont pas sa priorité.
Du coup, Airbus a menacé de partir en cas de Brexit dur, ce qui menacerait une grande partie des 300.000 emplois de l’industrie aérospatiale du pays. Mais l’automobile, bien implantée dans le pays, commence aussi à s’iniquiéter d’une possible disparition de la production britannique.
Et le gouvernement britannique se retrouve complètement coincé. Il sait bien que ce projet de Brexit n’a pas été préparé et les conséquences économiques non anticipées. La Grande Bretagne sait trop bien qu’elle a besoin d’ouverture internationale et surtout européenne pour maintenir son activité et sa croissance. Du coup, son ambition d’obtenir un Brexit sans douleur ou sans effort comme certains partisans ont promis à leurs électeurs paraît très difficile à négocier
Pour les européens, soit la Grande Bretagne est « IN » avec tous les avantages et les inconvénients, soit elle est « OUT ». Il sera donc impossible maintenant à Londres de négocier une situation intermédiaire dans laquelle ils auraient pu profiter de la copropriété sans en payer les charges et sans avoir à respecter le règlement commun. .
Cet optimisme relatif n’est aujourd hui tempéré que par une seule éventualité à laquelle personne n’ose croire, alors que les anglais distillent la rumeur avec assez de perfidie. Cette éventualité serait pour les anglais de sortir du piège en transformant le pays tout entier en un vaste paradis fiscal, aux portes de l’Union européenne. Cette éventualité poserait des problèmes sérieux que les européens n’ont pas encore inscrits à leur réflexion.
Les industriels, eux, se retrouvent face à deux craintes.
Le premier, la réapparition des droits de douane. En temps de simili guerre économique avec les Etats-Unis, ils ont le vent en poupe mais ils pourraient aussi bien réapparaitre en franchissant la Manche. En cas de non accord commercial, c’est la règle de l’OMC qui s’appliquerait, celle qui stipule d’un droit de douane à 10%. Dans l’industrie automobile, beaucoup de constructeurs ont des usines outre-Manche, pour 80% de leur production destinée à l’export. Dans un monde où les chaines de production sont de plus en plus éclatées et où les composants peuvent franchir plusieurs fois la frontière avant de devenir produit fini, les entreprises pourraient être forcées de rationaliser.
La deuxième, ce sont les réglementations pour accéder au marché européen.Le Royaume-Uni quittant l’UE, il aura besoin des réglementations adéquates pour continuer de commercer avec l’Europe. Les agences reconnues qui aujourd’hui certifient les produits britanniques cesseront de le faire et le chantier de ces agences nationales qui prendraient le relais n’est même pas encore aujourd’hui en construction.
Du côté des banques, c’est l’Autorité Bancaire Européenne qui a fait la grosse voix. Tardant à prendre des mesures, les institutions financières ne se préparent pas correctement à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, a indiqué l’agence. « Les firmes ne peuvent pas prendre pour acquis qu’elles vont pouvoir continuer à opérer comme aujourd’hui, pas plus qu’elles ne peuvent compter sur des accords politiques encore non réalisés, ou sur des interventions publiques », les forçant à scénariser la pire situation, c’est à dire un retrait sans accord commercial.
On le sait de plus en plus nettement, la sortie du Royaume-Uni ne se fera pas sans heurts : les investissements dans l’industrie automobile britannique, employant 856 000 personnes, ont déjà régressé de moitié au cours de la dernière année.
La dernière enquête de EY sur l’attractivité de la France flatte l’ego des dirigeants français puisque cette attractivité a beaucoup augmenté. Mais disons qu‘elle a surtout augmenté grâce au Brexit, de manière relative. Les investisseurs qui viennent s’installer en France le font parce que le pays est séduisant, mais ça n’est pas nouveau. Ils lorgnent sur la tour Eiffel, la côte d’Azur depuis deux siècles. Ils viennent aujourd’hui parce qu’ils ont peur du Brexit.
Alors, les entreprises se renseignent sur les bureaux à Paris, Luxembourg ou Francfort, mais personne n’a véritablement envie de déménager.
En fait, ils ont encore trois scénarios en tête possible.
Le premier paraît assez peu probable. La Grande Bretagne dans l’impasse se déciderait à tout abandonner et à refaire une consultation pour essayer d’effacer le Brexit.C’est le rêve secret d’une grande partie de libéraux. Peu probable, mais pas exclu. Tout est possible.
Le deuxième est en cours d’écriture. Il s’agit de rédiger un accord avec les européens mais tout le monde sait qu’il coutera cher aux Britanniques. Accord bouclé à la va-vite quand le gouvernement saura que toutes les portes sont fermées. Très mauvais scénario pour les britanniques, ils le savent et les riches préparent déjà leur sortie. L’immobilier haut de gamme en profite à Paris.
Le troisième scénario, c’est la blanchisserie. Faute d’accord, et face au risque d’asphyxie, Londres et ses environs peuvent tomber du côté où ils penchent, offrir au monde entier une plateforme offshore qui ne sera pas pour déplaire aux européens. Les américains ont la Floride pour cela, Las Vegas ou plus glauque, les Bermudes.
L’Asie a Singapour pour effectuer toutes les opérations que les morales nationales environnantes refusent d’assumer. La Chine utilise Hong Kong. L’Europe aura l’Angleterre. Pour les européens du continent comme pour les britanniques, ce n’est pas une solution très glorieuse, mais on fermera les yeux. On sait déjà les fermer sur les turpitudes du Luxembourg ou de l’Irlande. Les grands gagnants seront les élites. Les perdants, la classe moyenne britannique et les plus pauvres, ceux-là même qui ont voté pour le Brexit
