Grande Bretagne : Le silence coupable des « Brexiters » face au chaos

Coupable silence, parce que tous les Brexiters et les leaders populistes nous ont donné tellement de leçons sur leurs formes d’exigences, que devant le fiasco britannique, ils pourraient donner quelques explications, mais ils se cachent. Leurs responsabilités débordent les frontières du Royaume-Uni.

L'ex-ministre des finances, Rishi Sunak, officiellement nommé Premier ministre aujourd’hui par le roi, adoubé par le parti conservateur, aura -t-il plus de chance et de moyens politiques que ses prédécesseurs ?   Après le désastre économique, monétaire, la Grande Bretagne est tombée dans le chaos politique. Cameron exit, Theresa May exit, Boris Johnson évincé, Liz Truss humiliée et exfiltrée. Et demain, la majorité déchirée va se battre pour choisir celui qui la conduira dans le mur. Parce que c’est inéluctable. 

Ceux qui prédisaient une telle hécatombe au moment du Brexit n’avaient pas droit à la parole. Le Brexit était un pur produit de l’expression populaire. Le concept était intouchable. Le peuple l’avait décidé. Le peuple ne pouvait ni se tromper, ni être la victime d’une manipulation. Le Brexit a bousculé la Grande Bretagne dans tous les sens et l’a plongé dans le chaos.

 David Cameron, le Premier ministre qui avait cédé aux courants les plus populistes de son parti, a disparu.

Theresa May s’est épuisée à négocier un contrat de rupture acceptable par Michel Barnier, le négociateur européen. Elle a essayé de ménager les intérêts mais ses amis voulaient tout ce que l’Europe pouvait apporter à la Grande Bretagne, sans contribuer à son fonctionnement. « Le beurre et l’argent du beurre. » Le divorce a été prononcé dans une joie triste à Londres et Theresa May a jeté l’éponge, écœurée. Écœurée de voir son pays ainsi glisser vers l’abime.

Boris Johnson, le plus cynique de tous, voulait faire croire que la Grande Bretagne finirait par profiter de sa liberté retrouvée. Mais même la City, qui rêvait de devenir une Singapour sur la Tamise, ne l’a pas cru. Boris Johnson est parti couvert de honte sans abandonner l’idée de revenir au pouvoir un jour prochain, parce que tout est possible. 

Liz Truss lui a succédé en pariant qu’un régime à la Tatcher pouvait sauver son pays. Elle n’a pas compris que son peuple était à genoux, dans un pays en quasi faillite. C’est la banque d’Angleterre qui a sauvé le Royaume-Uni de la banqueroute. Les taux d’intérêt ont flambé, la monnaie s’est effondrée et les fonds de pension (qui s’occupent des retraites) ont été mis sous tutelle. Liz Truss a tout tenté, y compris de changer son ministre de l’économie. Elle a tenu un mois.

Il faut maintenant tout reconstruire, le système économique, une politique de redressement, la monnaie, la croissance, la capacité d’emplois dans une conjoncture extérieure que la Grande Bretagne se retrouve seule à affronter.

Très seule, parce que la classe politique est en miette avec une majorité conservatrice qui devrait découvrir un nouveau chef pour conduire une politique a priori inapplicable parce que le pays est en ruine. Il n’y a rien de pire dans une démocratie, que de ne pas trouver de solution politique pour échapper à la ruine. 

Le plus grave est que tous ceux qui ont conduit la Grande Bretagne dans cet état, ont disparu des radars. 

Mais où sont-ils passés, tous ceux qui avaient promis aux Anglais, victimes de la mondialisation, un avenir de prospérité, de liberté et de paix. Une force, une dynamique, une possibilité de nouer des accords aux quatre coins du monde et qui remplaceront avec beaucoup d’avantages des liens avec l’Europe dont on nous disait qu’elle partait dans tous les sens sous des montagnes de contraintes technocratiques.

Le diagnostic de la situation britannique aujourd’hui est accablant : pas de croissance, pas d’emploi, un chômage record, une inflation supérieure à 10 %, des inégalités de richesses et de revenus croissantes, une misère pour plus d’un tiers d’Anglais inimaginables dans un pays européen.

Mais un diagnostic qui mériterait des remèdes de cheval pour redresser la situation mais que la majorité politique ne peut pas tolérer.

Donc Liz Truss a été obligée de partir parce que son programme était inapplicable, et infinançable. Ce programme conduisait tout droit à la ruine. C’est d’ailleurs ce que les institutions financières, la banque d’Angleterre en tête, ont conclu en condamnant les « Trussonomics ».  Trop de dépenses publiques et sociales, trop de baisses d’impôts. La Banque d’Angleterre a été obligée de réagir pour éviter la faillite de fonds de pension qui se retrouvaient en cessation de liquidité, coincés par la hausse des taux d’intérêt. Le marché obligataire, qui gère la dette publique, ne pouvait pas accepter une dérive financière majeure sans se mettre à l’abri, ce qu’ils ont fait pour éviter, selon le New-York Times, un nouveau Lehman Brothers.

Quelle humiliation ! Pour la presse britannique, le Royaume-Uni est retombé en plein chaos.  Les conservateurs lui cherchent désespérément un remplaçant : son ministre de l’économie est sur les rangs, et Boris Johnson est revenu en coulisse. N’importe quoi ! même sous la 4e république en France, on n’aurait pas imaginé un tel bazar. 

Cette situation cataclysmique de la Grande Bretagne est liée à un enchainement de de facteurs défavorables.

La gestion du Brexit s’est avérée de plus en plus compliquée, parce que les couts de logistique et de procédures se sont alourdis. Toutes ces difficultés se sont ajoutées à l’inflation importée par l’énergie, les matières premières et les produits alimentaires. 

Contrairement aux promesses qui avaient été faites par les Brexiters, la Grande Bretagne n’a pas réussi à trouver dans le monde des partenaires alternatifs à ceux que le Royaume-Uni a perdu en Europe. Les États-Unis ne se sont pas précipités pour venir en aide à l’Angleterre qui, en plus, a perdu une partie de la puissance de l’industrie financière.

Ajoutons que ces dernières années, la gestion du Covid a été calamiteuse dans les campagnes et la pandémie a beaucoup désorganisé le système d’autant que, faute de moyens, le Trésor britannique a été beaucoup moins généreux pour financer « un quoi qu’il en coute » comme en Allemagne ou en France.D’où les grosses difficultés en sortie de covid pour profiter du rebond mondial. Les Anglais ont dû, sur leurs deniers propres, payer la gestion du covid et l’augmentation des prix de l’énergie, du gaz et de l’électricité. Pas de carte vitale, ni de chèque carburant ou prix plafond. A l’arrivée, peu de croissance, beaucoup de chômage et d’inégalités.

Ce qui est désolant, pour les Anglais, c’est qu’ils paient les erreurs du populisme alors que ceux qui les ont entrainés sur ce chemin se font de plus en plus discrets. Et ce n’est pas Steve Banon, le lobbyiste américain qui viendra coacher les dirigeants occidentaux comme il a fait pendant presque dix ans, il risque d’aller en prison aux États Unis.

La situation britannique est certes très particulière par rapport à celle des autres pays occidentaux, sauf que, dans beaucoup de démocraties, on commence à avoir de sérieux soucis au niveau des finances publiques. L’Allemagne peut vivre sur les excédents, mais l’Italie, l’Espagne et surtout la France ont du mal à redresser l’équilibre. Les ambitions de maitrise sont très souvent insuffisantes surtout dans un climat inflationniste. La France doit à la fois soutenir son économie, juguler des problèmes d’approvisionnement en énergie tout en finançant par l’investissement, la conversion vers une économie verte. D’autant plus compliqué que la gouvernance n’a pas de majorité absolue.

Les pays européens viennent de recevoir les avertissements très sérieux du FMI et des banquiers centraux, parce que la panique britannique a rappelé assez brutalement que la volatilité très forte sur les marchés ne se limitait pas à sanctionner les « trussonomics » de Londres, mais aussi pouvait très bien toucher les plus dissipés de la classe européenne. Le seul atout de l’Europe, c’est qu’elle existe et qu’elle a appris la solidarité européenne. Qu’on le veuille ou non, tout le monde se tient et tout le monde bénéficie de cette garantie mutuelle. Les marchés n’ont pas aimé « les Trussonomics » anglais, ils ne supporteront pas un nouveau « quoi qu’il en coute » français ou italien.  C’est la raison pour laquelle les marchés sont aussi attentifs à la force des courants populistes en Europe. Ils existent dans tous les pays.