La crise va obliger la France à réduire, enfin, ses délais de paiement. Les retards coûtent 26 milliards d’euros aux PME et TPE

Par Denis Le Bossé, président du cabinet ARC
Les PME et les TPE se porteraient mieux pour résister à la crise si les 26 milliards d’euros de retard de paiement avaient été réinjectés dans leur trésorerie. Si les entreprises sont aussi fragilisées c’est qu’elles sont déjà plombées par des délais de paiement trop importants.
Les mesures prises par le gouvernement pour soutenir les PME et les TPI qui se retrouvent asphyxiées par la crise du coronavirus sont évidemment indispensables. Elles marquent la fragilité de notre systeme. Si en période de conjoncture plus forte, on avait réduit les délais de paiement qui coutent encore 26 milliards d’euros en trésorerie, notre tissu industriel serait plus robuste. La crise va offrir l’opportunité de réviser toute notre politique de délais de paiement.
La crise du coronavirus est évidemment et d’abord une crise sanitaire. Mais cette crise sanitaire, partie de Chine, provoque aujourd’hui un blocage du système économique mondial. Au regard de la santé des populations, elle est évidemment extrêmement grave. Au regard des situations économique et sociale, elle risque d’être catastrophique. Comme en 2008... Et même si toutes les décisions prises par les ministres du G7 Finances et par les banquiers centraux sont bonnes et nécessaires, personne ne sait si elles seront efficaces.
Les mesures prises et envisagées passent par une distribution massive de liquidités afin d’éviter une asphyxie des systèmes. Les banquiers occidentaux et les chefs d’entreprise ont acquis la conviction que nous étions en risque de récession grave. L’OCDE et tous les organismes d’analyse ont d’ailleurs révisé à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2020. L’impact sur la croissance représentera « plusieurs dixièmes de point » a prévenu le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire.
Le système mondial se retrouve meurtri par ce qu’on appelle un choc d’offres. Les produits sont bloqués dans des usines qui sont pour certaines fermées, c‘est le cas des usines chinoises, ou pour d’autres qui tournent au ralenti faute de pouvoir s’approvisionner. Ne parlons pas des industries du tourisme, du transport ou encore des industries du luxe. L’Italie est lourdement touchée au cœur de sa richesse, et la France qui est le pays qui reçoit le plus de visiteurs étrangers (90 millions par an) va terriblement souffrir.
Il est évident que ce choc va impacter lourdement la trésorerie des entreprises. La cellule de continuité économique de Bercy a été activée le 3 mars. En parallèle, 3 600 entreprises (60 000 salariés, concentrés notamment dans les secteurs du tourisme et de la restauration) ont d’ores et déjà fait des demandes de recours à l'activité partielle ces derniers jours, pour éviter une faillite ou des salaires et fournisseurs non payés. Les entreprises développent le télétravail et réfléchissent à une organisation spécifique en cas de limitation des transports, partagent quand elles le peuvent leurs salariés dans des lieux différents, s’interrogent sur l’éventualité du chômage technique…
Le risque majeur est donc un risque de rupture de liquidités d’autant que notre économie est déjà très endettée. Les Etats, les entreprises, les ménages sont endettés et il faut garantir ces remboursements. Dans ce contexte, on sait déjà que des milliers d’entreprises vont voir leurs délais de paiement s’allonger. La chaine de production s’accompagne toujours d‘une chaine de financement. Si la première est rompue parce que le Coronavirus a arrêté les usines ou bloqué les porte-containers, la chaine de financement se fissure et se casse. Si les gouvernements et les banques agissent en apportant un maximum de garanties, les entreprises elles-mêmes vont devoir inventer des process pour amortir le choc et adopter des pratiques pour protéger leur trésorerie.
En pleine incertitude, et même s’il reste possible d’envisager que l’Europe rattrape une part de sa croissance perdue dans quelques mois lorsque l’épidémie sera enrayée, la situation actuelle va mener de nombreuses entreprises à des scénarios catastrophiques. Dans ce contexte, il est légitime de se questionner sur le combat à mener contre les retards de paiement, en temps de « non-crise ». Les entreprises, notamment les TPE et PME, auraient été plus robustes si les 26 milliards de paiements en retard avaient été réinjectés dans leurs trésoreries…
Denis Le Bossé, président, Cabinet ARC