La France a tout pour avoir une politique industrielle ambitieuse et efficace, mais n’a pas de stratégie.
Le départ du discret patron de l’Agence des participations de l’Etat révèle au grand jour que la France a tous les moyens de mener une politique industrielle ambitieuse, mais pas la stratégie. C’est à Bruno Le Maire de réprendre la main. Quel boulot !

La France a tous les moyens (les outils, les entreprises et l’argent) pour mener une politique industrielle qui pourrait être très ambitieuse, mais pas de stratégie claire. Le départ du Commissaire aux participations de l’Etat éclaire l’ampleur des moyens dont dispose l’Etat pour impulser une politique industrielle, qui serait à la fois cohérente et efficace. Mais ce départ prouve aussi la discrétion dans laquelle a toujours été gérée cet outil qui vivait à l’ombre de Bercy.
Ça va donc être au ministre de l’Economie, numéro 2 du gouvernement, de reprendre la main. Bruno Le Maire doit lui désigner un successeur mais il doit surtout présenter un plan stratégique.
La gouvernance française a des moyens considérables mais on se demande vraiment ce qu’elle en fait. Dans quel but et au service de quelle stratégie ? Le ministre n’a pas le droit de se louper.
L’agence des participations de l’Etat regroupe et gère l’ensemble des participations que l’Etat détient dans plus de 80 entreprises. Des entreprises cotées mais beaucoup de non -cotées. Le total des actifs détenus dépasse les 120 milliards d’euros. Ça n’est pas rien.
En fait, cette agence pourrait ressembler à un fonds d’investissements souverain qui possède des intérêts dans EDF, Renault, Air France et beaucoup d’autres entreprises françaises moins emblématiques. Elle détient le capital et peut, à ce titre, intervenir dans la gestion de ces entreprises via le conseil d’administration où elle place très souvent des administrateurs, afin de contrôler la gouvernance et faire passer les messages de l’Etat. Et c’est là où tout se complique.
Parce qu’on sait assez peu de choses sur la façon dont l’agence fonctionne et intervient. Le parlement s’en préoccupe parfois, mais ses remontrances sont assez peu suivies d’effets. La Cour des comptes s’en est encore inquiétée récemment en s’interrogeant à voix haute sur la vocation d’une telle agence, d’où la décision prise à priori au plus haut niveau de l’Etat, de faire cette agence le principal instrument de la politique d’intervention de l’Etat, mais encore faudrait-il que l’Etat ait défini une doctrine claire et précise.
Cette agence était jusqu'à aujourd’hui dirigée par Martin Vial, pur produit de l’administration française. Expert, respecté par la place financière et la grande administration, compétent et discret, c’est lui qui a demandé à ce qu’on mette fin à ses fonctions. L’époux de l‘ex-ministre de la Défense, Françoise Parly, a d’autre projets. Il en a le droit et la liberté.
Reste qu’il laisse à Bruno Le Maire le soin d’ouvrir un chantier de réforme de cette agence avec beaucoup de questions non résolues jusqu'à maintenant.
Des questions techniques qui portent sur le statut juridique de ce type d’agence.
Des questions très politiques qui doivent définir le rôle stratégique de ces participations, parce que le débat est feutré. D’un côté, on regrette que l’administration soit en risque d’obésité, parce qu’elle s’occupe de tout. Si ces voies s’élèvent pour réclamer l’amaigrissement des services de l’Etat, beaucoup expliquent aussi que l’Etat doit intervenir pour peser sur les axes stratégiques de la politique industrielle et préserver la souveraineté, surtout en temps agités.
Les grandes mutations technologiques, dans le domaine de la santé ou du digital, les ambitions d’assurer les approvisionnements ou de protéger la souveraineté dans beaucoup de domaines impliquent des interventions de l’Etat mais sous quelle forme ?
Depuis la crise du Covid et la guerre en Ukraine, la tendance au désengagement de l’Etat est moins à la mode.
Il n’empêche que ces évolutions structurelles commandent la pulsion ou même les moyens financiers de l’Etat.
La défense a toujours été très proche du giron de l’Etat et l’énergie, compte tenu des problématiques d’approvisionnements futurs, devraient le rester. Quant à l’automobile, en pleine transformation avec l’électrique, on voit mal l’Etat céder sa part dans Renault maintenant.
Il est évident que le choix d’une énergie nucléaire est du ressort de l’Etat, d’autant que les investissements sont tellement longs que les marchés privés ne se précipiteront pas. D’où la présence de l’Etat au capital d’EDF. Mais dans Renault ou dans Peugeot, la présence de l’Etat est beaucoup plus discutable, sauf à considérer que ces entreprises sont stratégiques et incontournables au niveau social.
Tout comme la participation de l’Etat français dans Air France. Il va donc falloir qu‘à Bercy, qu’on passe au peigne fin toutes les participations de l’Etat et qu’on s’interroge pour savoir ce que coûte chacune d’entre elles et ce qu’elles rapportent. Parce que jusqu'à maintenant, l‘Etat n’a pas fait de très bonnes affaires. Mais surtout, s’interroger pour savoir si la présence de l’Etat est absolument indispensable ou alors s‘il ne vaudrait pas mieux passer la gestion au privé. En l’état actuel des choses, les cessions de participations et privatisations sont au point mort, mais il faudrait pouvoir remettre la question sur la table.
Les intérêts patrimoniaux existent, mais les obligations de compétitivité internationale aussi, tout comme les intérêts de politique souveraine. L’ensemble n’est pas d’une cohérence modèle. Quel rapport entre le nucléaire, la Monnaie de paris et France télévisions ?
La liste des entreprises du portefeuille de l’État, rangée en 4 secteurs est impressionnante.
Énergie :
Électricité de France (EDF)
Engie
Eramet
FSI Équation
Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB)
Oran
Areva
Industrie
Airbus Group SE
Chantiers de l’Atlantique
Civil conseil
Défense conseil international (DCI)
GIAT Industries
KNDS NV
La Monnaie de Paris
Naval Group
Odias
Renault SA
Safran
SNPE
SOGEPA
Société technique pour l’énergie atomique
Sofema
Thales
Transports
Aéroport de Bordeaux –Mérignac
Aéroport de la Réunion –Roland Garros
Aéroport de Marseille –Provence
Aéroport de Montpellier– Méditerranée
Aéroport de Strasbourg –Entzheim
Aéroport de Toulouse –Blagnac
Aéroport Martinique –Aimé Césaire
Aéroports de Paris (ADP)
Air France-KLM
Caisse nationale des autoroutes
Compagnie générale maritime et financière (CGMF)
Fonds pour le développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin (FDPITMA)
Grand port maritime de Bordeaux
Grand port maritime de Dunkerque
Grand port maritime de la Guadeloupe
Grand port maritime de la Guyane
Grand port maritime de la Martinique
Grand port maritime de la Réunion
Grand port maritime de la Rochelle
Grand port maritime de Marseille
Grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire
Grand port maritime de Rouen
Grand port maritime du Havre
Port autonome de Paris
RATP
Société aéroportuaire de Guadeloupe Pôle Caraïbes
Société nationale SNCF
Société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc (ATMB Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc)
Société des autoroutes Rhône-Alpes (AREA)
Société des chemins de fer luxembourgeois
Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF)
Société internationale de la Moselle
Services et finance
Arte France
Bpifrance EPIC
Casino d’Aix-les-Bains
Consortium de réalisation (CDR)
Dexia
France Médias Monde
France Télévisions
IN Groupe
La Française des Jeux (FDJ)
La Poste
Orange
Radio France
Semmaris
Société de prise de participation de l’État (SPPE)
Société pour le logement intermédiaire (SLI)
Le poids des entreprises, l’importance de leur implantation donne donc à l‘agence une responsabilité particulière sur l‘évolution du tissu économique et social, mais sa marge de manœuvre devrait aussi lui permettre d’intervenir sur cette évolution, un peu comme le ferait la Caisse des dépôts ou BPIFrance qui, elles aussi, ont des moyens d’interventions massives dans les entreprises.
En fait, si on additionne les moyens de l’agence, de la Caisse des dépôts, des caisses régionales, de la BPI, on s’aperçoit que l’Etat industriel et patron dispose de moyens considérables dont on peut penser que l’action pourrait être plus transparente, plus stratégique et plus cohérente.