La prochaine crise mondiale ne viendra ni d’Europe ni d’Amérique, mais d’Asie

« Le pire n’est jamais sûr, la crise rend intelligent, ou encore la catastrophe ne vient jamais d’où on croit… » Tout le monde connaît ces vieux dictons, ces proverbes de campagne dont la modernisation est souvent attribuée à Warren Buffet. Ce que disent les vieux sages n’est pas forcément toujours erroné.
Le phénomène intéressant actuellement, c’est qu’on reçoit une avalanche de mauvaises nouvelles, avec des prédictions alarmistes sur l’Europe ou sur les Etats-Unis. Résultats, les marchés financiers piquent du nez et les traders ont la fièvre de l’angoisse. Cette fièvre est d’ailleurs largement entretenue par les instituts d’analyse économique internationaux, ceux du FMI, de l’OCDE, de la Commission européenne, de l’OMC, qui ne sont pas optimistes depuis six mois. Ils préviennent, avertissent les gouvernements occidentaux, et du coup inquiètent les opinions publiques.
Mais si on reprend toutes les analyses et les prévisions économiques établies par les services économiques des grandes institutions financières mondiales de la sphère privée HSBC, AXA, Morgan Stanley, etc., on s’aperçoit que les oracles qui travaillent pour les grands investisseurs sont moins pessimistes que ceux qui travaillent pour le public. En bref, ils ne croient pas que le monde soit à la veille d’une nouvelle crise mondiale qui serait d’origine occidentale.
Premier contre-sens : croire que le Brexit va entraîner un tsunami. La perspective d’une sortie de la Grande-Bretagne fait souffler un vent de panique sur les marchés et c’est vrai que faute d’informations sur ce qu’il peut réellement se passer, les traders et les gérants se mettent aux abris. C’est vrai aussi qu’on ne sait véritablement pas ce que les Anglais gagneraient à sortir de l’euro. C’est un grand mystère. Les sondages nous disent que les Anglais pourraient vouloir sortir, mais ils ne nous disent pas pour quelle raisons objectives.
On sait à coup sûr ce qu’ils perdraient. Une croissance affaiblie, un commerce international anémié, des prix intérieurs qui vont monter et des charges budgétaires qui vont augmenter.
Les Anglais payeraient donc très cher leur accès de colère. D’autant que la Grande-Bretagne prendrait le risque d’une dislocation du royaume puisque l’Ecosse, l’Irlande et le pays de Galle en profiteraient pour exiger leur autonomie et leur rattachement à l’Europe.
Mais de là à penser que ce tremblement de terre provoquerait des effets systémiques sur le reste de l’Europe, les grandes institutions en doutent. Au contraire, il y aura un peu de tangage en attendant que les relations nouvelles soient négociées, mais a priori, l’Europe continentale peut profiter d’un Brexit dans la mesure où les investissements étrangers du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique auront tendance à se relocaliser en Europe, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.
Pour l’Europe continentale, le Brexit peut être une bonne affaire à condition que les principaux acteurs de l’Europe, et notamment la France et l’Allemagne, resserrent leurs liens et en profitent pour modifier la gouvernance de l’Union. Si l’Union européenne profite de ce Brexit pour renforcer le fédéralisme et si elle conjure les velléités de dislocations. A priori, il n’y a donc pas de risque de catastrophe économique liée au Brexit.
Deuxième contre-sens : penser que le ralentissement américain va déboucher sur une nouvelle dépression. Il n’y a pas d’exemples dans l’histoire où le ralentissement de l’économie a provoqué une crise. La crise est un phénomène brutal déclenché par un choc exogène, les subprimes par exemple, la guerre, la faillite d’une grande banque ou celle d’un pays systémique. En dépit de l’embarras des banques centrales qui donnent l’impression de ne pas toujours maîtriser les politiques monétaires et leur impact, elles ont encore à leur disposition des outils de régulation ou de soutien.
La mondialisation protège les pays développés de l’inflation, mais ne les exonère pas de chercher les modèles économiques les plus compétitifs. Il n’existe actuellement aucun facteur endogène aux systèmes économiques des pays développés pour les entraîner dans la récession.
Troisième contre-sens : penser que la Chine peut rester l’usine du monde et la locomotive de la planète. C’est faux. En Chine aussi, tout est fragile. Avec la Chine, on touche au principal risque qui pèse sur l’équilibre de l’économie mondiale. Elle essaie de soutenir son taux de croissance en poussant les investissements collectifs (écoles, hôpitaux, infrastructures), mais elle se refuse encore à autoriser la croissance des consommations privées. La Chine hésite encore à lancer ses réformes d‘organisation de la société qui reviendrait à libérer le marché intérieur privé. Pékin a repris en main la gestion politique et administrative du pays afin de protéger l’équilibre du régime, mais cette reprise en main est évidemment un facteur de freinage dans l’évolution. Or, la Chine c’est un milliard d’hommes et de femmes qui commencent à avoir faim d’un modèle de société où l’on pourrait consommer autre chose qu’un bol de riz quotidien et lire autre chose que le journal du peuple.
Ajoutons à cela que les réserves de liquidités sont considérables, elles sont le fruit de la politique d’exportation intensive pendant 20 ans. Ces liquidités sont en partie gelées, certaines commencent à être réinvesties en Occident, elles sont recyclées, mais rien ne dit que les peuples chinois ne vont pas revendiquer leur part du gâteau. La Chine est porteuse de deux risques à caractère systémique.
– Un risque socio-politique interne de grande ampleur, or les dirigeants ont une peur panique des phénomènes type Tian’anmen
– Un risque de guerre des changes pour faciliter ses exportations, or les pays du G20 ont peu d’outils pour se protéger d’une guerre des changes. La crise mondiale, si crise il y a, partira d’Asie…