La rencontre Biden-Poutine pourrait changer le monde si et seulement si les deux chefs d’Etat se parlaient vrai ...
Que peut-on attendre d’une rencontre entre deux des chefs d’Etat les plus puissants de la planète et dont les rapports étaient jusqu'alors très tendus ?

Les rapports entre les États-Unis et la Russie n’ont jamais été aussi mauvais, alors le fait que cette rencontre ait pu avoir lieu à Genève, en terrain neutre est déjà un début de succès, mais il ne faudra pas en attendre des miracles. Les rencontres internationales ont deux lectures possibles. Sur la forme, elles peuvent être exécrables ou amicales, tout dépend du message que chacun veut envoyer à son peuple. Parce que chacun, quel que soit le système politique dans lequel il s’inscrit, s’adresse d’abord à son peuple. Machiavel avait bien expliqué cela. « Tout chef d’État ou de royaume ne doit jamais oublier qui l’a fait roi. » Il défend donc ses intérêts et ceux de son pays. Mais cette posture a des limites, des lignes rouges qu’on évite de franchir. Par conséquent, les conflits militaires seraient tellement graves, destructeurs et insupportables aux yeux des opinions publiques, que peu de responsables politiques en prendront le risque. C’est Henry Kissinger, le machiavel de l’Amérique moderne, qui le premier, a écrit cette évidence en arrêtant la guerre du Vietnam. La guerre est impossible et c’est la télévision qui l’a rendue impossible à assumer.
Quoi qu’on en pense, les chefs d’Etat iront au bout du bout d’une négociation pour éviter le conflit armé, notamment quand les deux pays sont des nations nucléaires. La crise rend intelligent même les chefs d’Etat mais c’est assez nouveau.
Les rapports entre la Russie et les États-Unis ont beaucoup évolué depuis l’arrivée de Donald Trump. Les deux hommes, Trump et Poutine, donnaient le sentiment de se comprendre, ils avaient la même Adn, ils se méfiaient tous les deux de leurs élites respectives. Mais sur le fond, leur administration défendait des intérêts difficilement conciliables.
Ce qui fait que cette entente cordiale au sommet n’a pas empêché Washington de surveiller les ambitions russes quand elles visent à retrouver des anciennes frontières de l’empire soviétique, d’où les problèmes à propos de l’Ukraine, de la Crimée, de la Géorgie ou même de la Biélorussie.
Et cette surveillance pour Moscou était une ingérence inadmissible dans les affaires intérieures, surtout quand elle s‘accompagne de rappels à la liberté et au respect des droits de l’Homme. Avec à la clef des sanctions économiques sur les flux commerciaux. Moscou ne pouvait donc pas accepter cette communication et se retrouvait obligée de répondre.
Du coup, l’Amérique, de son côté, ne pouvait pas supporter ce que Washington a vécu comme des tentatives de déstabilisation de la démocratie américaine, surtout que pour Washington, l‘augmentation des cyberattaques contre les équipements et les entreprises américaines ne pouvaient être que d’origine russe. Le président Trump n’a pas relayé ces soupçons mais il était bien le seul aux USA ce qui lui a valu des critiques acerbes de toute la classe politique, de ses services et de sa propre famille.
Les escalades de ce climat exécrable ont lourdement impacté les échanges commerciaux entre la Russie et les États-Unis. A tel point d’ailleurs que le volume des échanges a diminué et que la Russie ne pouvant plus garantir son commerce avec l’Occident, s’est tournée vers la Chine.
Sur le fond donc, la rencontre des deux hommes à Genève est plutôt un signal positif et indique que le changement va s’imposer.
Joe Biden a certes conservé beaucoup de mesures qu’avait pris Trump et persiste, notamment dans la crainte d’une surpuissance chinoise ... Mais Joe Biden a changé du tout au tout sa lecture des rapports géopolitiques.
Donald Trump tournait le dos au multilatéralisme. Il boudait les G7 et les G20, il avait quitté l’OMC et l’organisation de la santé, il snobait l’ONU ou le FMI. C’était "America first". Avec un discours protectionnisme à la clef. Il ne concevait les rapports internationaux que bilatéraux.
A propos de l’Europe, Donald Trump ne s’y intéressait pas. Quant à l’OTAN, il n’était pas loin de penser que cette organisation de défense ne servait plus à grand-chose.
Joe Biden, lui, revient au multilatéralisme parce qu’il considère que le monde est une grande communauté et qu’on a intérêt à parler avec tout le monde. Avec des organisations de régulation, d’harmonisation ou de gouvernance type OMC. Et qu’en plus, c’est bon pour les affaires et pour la paix.
Alors il a rencontré Vladimir Poutine qui a lui aussi besoin de parler avec tout le monde, parce qu’il a besoin de faire du commerce. Pendant les années Trump, les marchés se sont fermés à la Russie, black listée et sous sanction, c’est dans ces conditions que Moscou s’est tournée vers la Chine.
Donc il existe des facteurs et des conjonctions d’intérêt qui peuvent permettre d’avancer vers un dialogue plus constructif.
Le premier résultat de ce type d’entretien touchera évidemment le terrain
économique. L’Amérique de Joe Biden en arrivera à lever les menaces de
sanctions à l’encontre des entreprises qui travaillent avec un pays black listé.
La Russie est black listée dans certains secteurs dont le gaz, l’Iran l’est encore
davantage. Mais cette question des sanctions gêne tellement de monde et pas
seulement les entreprises russes ou l’économie russe mais aussi les industriels
américains qui sont très nombreux à travailler en Russie et qui ne manquent pas de se plaindre des lourdeurs administratives que ce climat entretient.
Une des questions, par exemple, qui inquiétait tout le monde c’était la menace américaine de bloquer toutes les transactions en dollars. A priori, après cet entretien, cette menace, qui était improbable, sera carrément hors sujet. Poutine, la semaine dernière en prévision de cette réunion avec Biden, a fait un appel du pied aux Européens en disant qu’on pouvait très bien faire du commerce en euros. La goutte d’eau de trop !
Le climat des affaires, avec Biden, va donc forcément changer pour faciliter les échanges (et sécuriser le dollar, l’arme fatale des américains). La Russie a besoin de vendre son gaz et elle a besoin d’acheter de la technologie occidentale. Nous avons, nous, besoin des marchés russes. Plus de 200 millions de consommateurs. Ajoutons à cette cordialité nouvelle que l’intérêt des américains n’est pas de voir la Russie poursuivre sa relation avec la Chine.
Ce renouveau n’empêchera pas les deux pays de le vendre à leur opinion publique. Il faudra donc lire entre les lignes les conclusions et remarquer que la Russie veillera comme à la prunelle de ses yeux à son indépendance et à sa sécurité et que l’Amérique veillera de son côté à ce que les canons de la démocratie ne soient pas trop abîmés.
C’est assez classique, personne n’est dupe de ce politiquement correct qui s’adresse à l’opinion, ce sont des postures parce que tout le monde sait que les histoires et les cultures sont différentes
Il y a évidemment une deuxième barrière, c’est l’Otan. L’OTAN a été créé par les occidentaux pour se protéger des communistes. Le régime communiste s’est effondré et on peut se demander à quoi sert l’Otan. Notamment pour les Européens. Mais le problème, c’est que les Européens ne sont pas d’accord sur l’avenir de l’Otan. Et ce désaccord rend service à l’Amérique, comme à la Russie.
Le maillon faible dans cette géopolitique que Joe Biden veut peut-être reconstruire, c’est donc l’Europe. Biden et Poutine ont choisi de se rencontrer sur le continent européen, mais pas dans un des pays de l’union. Ça n’est évidemment pas par hasard.
L’union européenne est écartelée entre sa fidélité historique aux États-Unis et sa proximité géographique, culturelle et même religieuse avec la Russie. L’Allemagne est très proche de la Russie parce qu’elle a besoin du gaz russe acheminé par le Nord Stream, ce gazoduc qui avait tellement agacé Donald Trump, l’Allemagne a aussi besoin des marchés de la Russie... mais l’Allemagne a évidemment besoin de l’Amérique pour se protéger. La France n’est pas sur cette ligne. Le général de Gaulle avait parlé d’une Europe qui allait de l’atlantique à l’Oural. Emmanuel Macron a repris cette expression il y a 3 ans. Mais c’est un sujet qui fâche alors personne n’en parle plus.