L’aggravation de la situation sur l’essence est le résultat d’une incroyable multiplication de lâcheté, d’incompétence et d’irresponsabilité à tous les niveaux.

 

Encore un effort et la France entière sera bloquée faute de pouvoir trouver de l’essence dans les stations. Et pourtant, il n’y a pas de pénurie d’approvisionnement, il y a une coagulation de malentendus, de rivalités syndicales et patronales, de maladresses et d’incompétences dans un climat délétère.

Le blocage des stations-service va finir par bloquer tout le pays. Cette situation est évidemment insupportable aux automobilistes dont la plupart ont absolument besoin de leurs voitures pour gérer leur vie quotidienne, professionnelle ou familiale. Le sentiment d’être pris en otage engendre la colère et même parfois la violence. Objectivement, ça n’est pas plus perturbant qu’une grève à la RATP ou à la SNCF, ou encore dans l’éducation nationale, mais celle-ci a éclaté dans un climat tellement anxiogène qu’elle peut provoquer des drames. Alors la première réaction, c’est de réclamer une réquisition des personnels mais on sait que ça ne règlera rien dans un pays où le droit de grève est sacré (et tant mieux),  La démocratie est parfois fragile, les procédures que l’État peut activer pour s’en affranchir sont généralement très complexes et longues, encore plus quand la crise éclate dans le secteur privé. 

La première réaction, c’est de faire un appel à la responsabilité de tous, évidemment (compagnies pétrolières, syndicats de travailleurs et usagers ou clients) mais le pouvoir des mots est parfois très limité ou symbolique.

Ce dont on ne se rend pas compte, c’est que ce conflit n’est véritablement pas comme n’importe quel autre conflit social. Il amalgame un tas de frustrations, de malentendus, d’injustices, d’incompétences et de concurrences politiques et syndicales. Autant de dossiers non traités qui asphyxient le fonctionnement de la maison France.

Les relations sociales en France ne sont pas gérées parce que les contre-pouvoirs syndicaux sont trop faibles et souvent obligés d’adopter des postures radicales pour exister. Dans l’affaire des dépôts d’essence et des raffineries, il est probable d’ailleurs que la CGT-chimie a choisi ce terrain pour manifester son influence face à la direction nationale qui n’était sans doute pas d’accord avec ce type d’action. Nous approchons d’élections internes à la CGT et beaucoup prêtent au patron de la CGT-Chimie l’ambition de prendre la place de Philippe Martinez, le secrétaire national. La question de la distribution des carburants se retrouve au centre de rivalités syndicales assez médiocres.

Les politiques de rémunérations ne sont sans doute pas parfaites puisque chacun se reproche le niveau des salaires et des primes … mais mieux vaut ne pas rentrer dans ce genre de détails parce que la question des salaires dans l’entreprise privée appartient à l’entreprise  (on n’est pas dans le service public) et c’est à la direction de l’entreprise de fixer sa grille de rémunération en fonction de ses objectifs et de ses contraintes mais cette affaire montre qu’elle mériterait évidemment plus d’explications.

-Le comportement de Total doit aussi manquer de clairvoyance et de transparence pour en arriver à une telle situation de blocage, parce que ça n’est évidemment pas normal.  TotalEnergies n’est pas dirigé par des débutants. Que s’est - il passé pour que l’agenda de la négociation ne soit pas compris par les syndicats et qu’on en arrive à se braquer ainsi?

Le rôle de l’État n’arrange pas la situation. L’État français est évidement conscient des dégâts et des risques d’un tel conflit mais que peut-il faire face à un conflit qui relève du droit privé, sinon de vérifier que chaque partenaire aura respecté le droit? L’Etat peut certes faire pression sur la direction mais par quel moyen (en dehors de la réquisition)? L’État peut puiser dans les stocks stratégiques mais encore faut-il trouver des camions et des chauffeurs. Il faudra patienter au moins quinze jours. TotalEnergies de son côté, n’a peut-être pas entendu les avertissements considérant que l’entreprise avait fait son devoir en octroyant une ristourne exceptionnelle de 30 centimes par litre. Les automobilistes en ont été satisfaits, l’État français aussi, mais sait-on que ce geste a semé la pagaille chez les autres distributeurs qui n’ont pas crié à la concurrence déloyale mais qui n’en pensaient pas moins.

L’affaire de la taxation des superprofits n’a pas arrangé le dialogue social. Quand les résultats d’entreprise ont été publiés, on s’est aperçu que quelques grandes entreprises (dont Total) avait réalisé des profits exceptionnels en 2021/22, compte tenu de la hausse des prix de l’énergie.  Ces profits ont bien évidemment été en partie distribués aux actionnaires. Dans certains pays, ces entreprises ont été assujetties à une taxation exceptionnelle. La France n’a pas retenu cette option parce que la France est engagée dans une politique fiscale pour encourager les investissements et notamment ceux qui sont destinés à la mutation énergétique. Cette décision a été très mal reçue par l’opposition politique qui discute du budget. Les syndicats voulaient aussi en faire un prétexte pour revendiquer une revalorisation de salaires.

La classe politique joue avec le feu. TotalEnergies et le gouvernement n’ont guère de soutien dans ce conflit. En fait, la classe politique n’est pas claire par rapport à cette crise. Une grande partie de la classe politique se frotte les mains. Tout ce qui peut gêner le gouvernement est bon à prendre parce que c’est legouvernement qui sera considéré comme responsable, ou même Emmanuel Macron lui-même.

A l’extrême gauche, la France insoumise, qui est aux prises avec des problèmes internes, est finalement très contente que les projecteurs se détournent et qu’en plus la pagaille vienne prouver les dysfonctionnements du régime.

Du côté des écologistes, c’est encore plus tordu. On défendra pour des raisons sociales toutes les revendications de salaires mais discrètement, on est plutôt satisfait de voir les automobilistes en panne sèche. L’essence comme le gasoil ne sont guère prisés chez les défenseurs militants de la planète. Alors franchement, que les stations soient à sec ne les gêne pas beaucoup.