Le modèle social français se résume une fois de plus à une chienlit ingérable.

 

Après le blocage de la distribution en carburant, la France s’essaie à la grève générale sans garantie d’y parvenir. Les grévistes ont surement raison mais ceux qui en souffrent aussi, à commencer par les salariés qui veulent travailler et ils sont nombreux.

Après deux semaines de blocage des dépôts de carburant, une marche de la Nupes dimanche menée par Jean-Luc Mélenchon, et une journée de grève générale organisée par la CGT conduite par Philippe Martinez, personne ne peut dire comment ce mouvement peut évoluer et surtout, si les feux qui ont été allumés par les personnels de TotalEnergies au tout début du mouvement réussiront à s’étendre à toute la société.

C’est assez peu probable, parce que les mouvements sont trop incohérents, avec des mots d’ordre contradictoires, disparates, des leaders aux egos très concurrentiels.

Au départ, les salariés de la CGT Energie de chez Total réclament des augmentations de salaires que la direction refuse. Le gouvernement va inciter tout le monde à négocier. La négociation débouche sur un compromis, accepte et signe par une majorité très large des syndicats de Total, sauf quelques 150 salariés CGT. Qui maintiennent leur blocage et essaient de contaminer d’autres entreprises, d’où la journée d’action qui a donné lieu à des manifestations dans la plupart des grandes villes de France.

Cela dit, tout cela est d’une confusion extrême.

Les salariés de Total qui sont en grève ont surement raison, mais ils ne sont pas parmi les salariés les plus défavorisés. Au contraire.

La journée d’action de Mélenchon ou les défilés de Philippe Martinez, hier mardi, n’ont pas été des francs succès. Ils ont attiré des salariés parmi les mieux protégés qui appartiennent soit à des grands groupes (TotalEnergies, Dassault, Safran), soit surtout à la fonction publique comme la Sncf. Mais la foule n’était pas dans la rue.

Ajoutons à cela, et les salariés le savent, que ces mouvements sont le théâtre d’une concurrence entre les responsables politiques et les responsables syndicaux. La gauche de JL Mélenchon était en train de se refaire une santé et la CGT a démarré la campagne pour les élections professionnelles. Ces histoires de chapelle traduisent davantage des conflits d’intérêt personnel qu’une prise en compte réelle des problèmes du monde du travail.

Par conséquent et a priori, ces spasmes sociaux n’annoncent pas une période de conflit sérieux et longs. Mais personne ne le sait en réalité. Parce qu’il peut se faire qu’une majorité de Français, comme souvent, se résolvent à faire la grève par procuration. Après tout, la grève peut aussi se faire en télétravail.

On ne connait jamais par avance la réalité de ces phénomènes. Personne n’a été capable de dire au tout début du mouvement des gilets jaunes que la France allait être profondément perturbée pendant plus d’un an. Personne, et surtout ni la gauche politique, ni les syndicats. Les institutions étaient larguées et exclues du jeu. D’où les risques de perturbation grave parce qu’il n’y avait pas de solutions politiques.

Actuellement, la classe politique et les syndicats essaient d’être présents et influenceurs, mais le sont-ils vraiment ?

Les mots d’ordre sont contradictoires. Comment lutter contre la vie chère et le réchauffement climatique en même temps? Quand on sait qu'une des sources de l’inflation réside dans la transformation écologique. D’un côté, la fin du mois et de l’autre, la fin du monde.

Le climat est très anxiogène en termes d’inflation, d’activité et d’emploi. Les chefs d’entreprises craignent une détérioration de leur situation, même si les fondamentaux restent bons. Les investissements vont baisser, les créations d’emplois aussi.

Aucun acteur sérieux ne peut imaginer qu’on luttera contre la hausse des prix par une augmentation généralisée des salaires, parce qu’on sait bien que l’augmentation des salaires sera répercutée sur les prix, donc à la charge du consommateur. On entrerait alors dans une spirale très toxique entre les prix et les salaires.

Aucun acteur sérieux ne peut imaginer qu’on puisse continuer à signer des chèques pour alléger les couts supportés par les consommateurs. « Le quoi qu’il en coute » va devenir insupportable, y compris pour les entreprises.

Ce climat-là ne mettra pas toute la France dans la rue mais il peut alimenter une chienlit sociale comme le disait le général De Gaulle, dont le système économique finirait par pâtir.

Cette chienlit est une spécificité française et aucun gouvernement ne s’est sérieusement attaqué aux origines.

Cette incapacité de nouer un dialogue social pour négocier le partage des ressources, cette allergie à la culture du compromis a des explications très connues et analysées mais auxquelles personne ne s’est malheureusement attaquée :

L’État trop centralisé, la disparition des corps intermédiaires, le déficit d’éducation et de formation des problèmes économiques, la faiblesse des contrepouvoirs syndicaux, leur faible représentativité, l'excès de corporatisme professionnel, le poids de la fiscalité et son corolaire de générosité extrême du modèle social … etc. etc.

La pire des chienlits s’était développée en France pendant les évènements de mai 1968. Mouvement totalement différent de la situation actuelle. Un mouvement d’étudiants dans une France trop à l’étroit dans ses structures pour assumer la croissance économique forte. Le Général de Gaulle avait diagnostiqué le mal français mais il n’a pas guéri le mal français. Il a simplement réussi à calmer le jeu et à remettre la France au travail, et comment a-t-il fait? En donnant à son Premier ministre l’ordre de payer.

 George Pompidou a donc signé des chèques à la CGT. « Il faut arrêter d’emmerder les Français » aurait-il dit .  Un jeune conseiller de Matignon qui gérait le dossier aurait ajouté  : « quoi qu’il en coute ! »  Le jeune conseiller avait les dents longues. C’était Jacques Chirac.