Le plan sobriété énergétique est tellement prudent qu’il en frôle le ridicule
La pénurie de carburant aujourd’hui dans certaines régions fait peur. Elle montre bien quelles pourraient être les réactions des Français en cas de pénurie si la sobriété volontaire qu’on leur demande aujourd‘hui ne suffit pas.


La pénurie de carburant touche un certain nombre de régions françaises, le nord de France notamment. Entre 15 à 20% des stations-services sont fermées, ce qui donne une idée assez précise de la panique qui pourrait s’emparer de l’ensemble de la population si, par malheur, la France était obligée de procéder à des délestages l’hiver prochain, faute d’une capacité de production suffisante en électricité. Les Français ne supporteront pas. Ce serait le retour de la débrouille et du chacun pour soi. Et la pénurie sera évidemment alimentée par la panique. Classique.
C’est un peu ce qui se passe depuis trois jours dans les stations-services. Il n’existe aucun problème d’approvisionnement en carburant (c’est-à dire en pétrole raffiné ou pas) mais il existe un problème de prix et surtout un problème de distribution.
Le système de distribution de carburant est sous pression pour deux raisons très simples. D’un côté, il y a moins d’offre pour cause de grève dans certaines raffineries ou dépôts. De l’autre, plus de demande par anticipation de hausse de prix.
L’offre est perturbée dans certaines régions à cause des grèves dans certaines raffineries et dépôts appartenant à TotalEnergies ou à Esso. Les revendications sont simples. Les syndicats réclament des hausses de salaires qu’il aurait fallu négocier dès qu’on s’est aperçu que les pétroliers avaient fait des superprofits et avaient organisé des ristournes exceptionnelles pour les automobilistes. Les salariés veulent leur part et c’est logique.
Du côté de la demande, on a assisté à un afflux de clients qui se sont précipités pour faire le plein et sans doute un peu de stocks, dans la perspective d’un arrêt programmé des ristournes octroyées par les pétroliers et les distributeurs. La menace d’une augmentation des prix non compensée par le bouclier a gonflé la demande. D’où le bug actuel.
Et bien, ce bug nous donne une petite idée de ce qui pourrait se passer à Noël si la météo est particulièrement cruelle et si les Français n’ont pas été aussi sobres que le gouvernement l’espère dans leur consommation d’énergie.
Parce que si le plan annoncé par le gouvernement est plein de bon sens, il est aussi tellement prudent qu’il confine soit à la naïveté, soit au ridicule.
Le plan présenté par la Première ministre pour réduire la consommation d’énergie, détaillé par la ministre de la transition énergétique, est plein de bon sens. C’est vrai, mais le bon sens est parfois la forme politiquement correcte de la naïveté.
-Acte 1, il appelle « tout le monde « à s’engager et à faire preuve de responsabilité ». Pour qui, pour quoi, par esprit de civisme. On limite les incitations ou les punitions. Le gouvernement ne propose ni bonus, ni malus. Il compte sur le volontarisme des Français. Très bien.
Acte 2, le plan de sobriété (qui a été élaboré dit-on avec les secteurs et les filières) comporte donc des dizaines de recommandations concrètes : les Français sont invités à moins se chauffer, moins s’éclairer, peut-être moins voyager inutilement, pratiquer le co-voiturage (blablacar), télétravail, éclairage public réduit etc. Ne parlons pas du conseil donné aux familles de ressortir les doudounes et d’essayer les douches froides,d’apprendre aux enfants à éteindre la lumière et à ranger leur chambre, pourquoi pas ?
Acte 3 : les entreprises et les administrations sont-elles aussi vigoureusement invitées à faire des économies, sur le gaz, l’électricité et les carburants.
Bref, normalement, avec ces millions de petits gestes, la France devrait diminuer sa consommation d’énergie de 10 % environ et passer l’hiver sans pénurie, c’est-à-dire sans black-out électrique.
La promesse est intéressante, mais ce que le gouvernement ne dit pas très clairement, c’est que les petits gestes ne représentent guère que 3% d’économie. Les 10 % visés seront atteints grâce à la baisse de consommation à cause des prix.
Il y a très certainement un gisement potentiel important, mais encore faut-il mettre en œuvre un plan qui aille au-delà du volontarisme des consommateurs.
Ne rêvons pas, le consommateur n’est pas altruiste. Il est égoïste. Il optimise en permanence son intérêt. Il arbitre entre ce qu’il consomme et ce qu’il paie. Le prix est donc un levier très fort de régulation. Qu’on le veuille ou non.
Depuis le début de la crise, le gouvernement a essayé d’amortir l’effet prix en créant ce bouclier. Et il a sans doute eu raison pour soulager les difficultés rencontrées par les populations les plus fragiles. Mais ce faisant, il a créé une habitude qui neutralise l’effet prix dans l'acte de consommer. Du coup, il ouvre la porte au risque de pénurie. C’est ou le prix fort ou la file d’attente.
Lors de la première crise pétrolière, quand la France n’avait pas de pétrole, il a bien fallu qu’elle ait des idées. Et elle en a eu des idées. Le pouvoir politique de l’époque a fait cette pédagogie qui nous manque, les entreprises et les administrations ont donné l’exemple.
Le problème actuel, c’est que la classe politique au pouvoir a perdu le logiciel de gestion de crise. Pendant la pandémie, il a pris les Français pour des enfants et les enfants ont certes obéi. Tant mieux.
Aujourd’hui, en pleine crise de transition énergétique, le gouvernement emprunte pour amortir le choc, et comme les moyens financiers manquent, ce qui est évident, il sort de sa trousse à outils des mesures qui sont plus symboliques qu’efficaces.
Et si on peut encore s’endetter, mieux vaudrait s’endetter pour investir massivement et changer de paradigme. Un programme de développement de notre industrie nucléaire, par exemple, dont personne actuellement n’a la certitude qu’il se fera effectivement.
A la décharge du gouvernement, il faut dire qu’il est très seul.
L’opposition est bruyante mais brouillonne. La droite a peu de courage et pas de leader, la gauche a trop de leaders et aucune idée qui pourrait correspondre aux besoins de la réalité. Le seul programme à gauche est celui des écologistes pour lesquelles la solution serait de faire moins de croissance. Organiser la mort lente de la civilisation. C’est l’utopie qui masque le cynisme. Mais les Français ne sont pas dupes.