Le Royaume-Uni se prépare à un Brexit sans accord et ne voit surtout pas comment arrêter cette chronique d’un chaos annoncé.

Le vote d’un accord sur le Brexit négocié par Theresa May, doit intervenir mardi prochain au Parlement britannique, mais pour beaucoup, l’hypothèse du no-deal se rapproche.

Sur le terrain, une seule question, comment va-t-on éviter le désordre, la pagaille et plus peut-être dans les aéroports et les gares, dans les postes de douanes, au siège d’Eurotunnel ou sur les quais  d’embarquement de Brittany Ferries ? On a du mal à imaginer comment les choses vont véritablement se passer au lendemain du 29 mars, si le Parlement britannique opte pour un Brexit pur et dur, rejetant l’accord péniblement négocié par Theresa May.

Car sur le terrain, l’ambiance est autrement plus fébrile et inquiète que dans les bureaux feutrés de l’administration britannique à Londres, où le flegme culturel des fonctionnaires tient lieu de politique stratégique. Le reportage de terrain nous éloigne des chiffres de la macro-économique mais nous rapproche de la réalité telle qu’elle est vécue par les acteurs du quotidien et explique cette peur du vide et du désordre qui s’empare de beaucoup de professionnels.

Première opération, baptisée "Opération Brock". 89 camions partant d’un aéroport désaffecté du Kent ont pris la route, lundi, pour rouler en convoi jusqu'au port de Douvres, distant de 32 kilomètres, sur une route à deux voies bien moins utilisée par les poids lourds que l'autoroute principale jusqu'à Londres (A20). Puis, ils ont fait demi-tour pour faire le même trajet dans l’autre sens. Il ne s’agissait que d’une grosse répétition de ce qui pourrait arriver à partir du 29 mars, si les contrôles douaniers aux frontières ralentissent les embarquements habituels dans les ports et à l’entrée de l’Eurotunnel. Si le test était censé rassurer sur le fait qu’il y ait « un plan efficace en place en cas de perturbation après le départ du Royaume-Uni de l'UE », selon le ministère des Transports britanniques, on s’est surtout aperçus que le pays se préparait au pire.

Car en cas de no deal et de retour aux frontières, les contrôles douaniers pourraient venir perturber ce déroulement incessant de camions et créer d’interminables embouteillages au point d’embarquement des ferries ou à l’entrée de l’Eurotunnel.

Comment donc éviter les embouteillages et la pagaille, en cas de Brexit sans accord, dans un point de passage comme Douvres, où, en période de pointe, plus de 16.000 camions passent chaque jour avec pour destination les côtes européennes ? Remplir les formalités nécessaires ne prend aujourd’hui que deux minutes. En cas de contrôles douaniers, même rapides, deux minutes supplémentaires créeraient des bouchons de plusieurs dizaines de kilomètres des deux côtés de la Manche. Et cela inquiète autant les entreprises que les pouvoirs publics.  

Deuxième acte en fin de semaine dernière, toujours dans le domaine du transport maritime : l’attribution de nouvelles lignes de fret pour les compagnies maritimes qui font la liaison entre le Royaume-Uni et le continent. Pour « répondre à l’extrême urgence de la situation » selon le communiqué du gouvernement britannique, ces contrats ont donc été accordés sans appel d’offres, à trois compagnies maritimes. Trois compagnies dont la française Brittany Ferries qui verra ses capacités fret augmenter de 50% sur trois lignes à partir du 29 mars 2019.

Une aubaine pour une société qui s’était créé au début des années 70 sur l’adhésion du Royaume-Uni à l’espace économique européen et donc sur l’expansion du commerce mondial et qui redoutait beaucoup l’arrivée de ce Brexit. Ce contrat venu tout droit du gouvernement britannique parait inespéré. " En augmentant le nombre de rotations sur des routes comme Le Havre - Portsmouth, nous serons en mesure de répondre sur le scénario du No Deal qui pourrait engendrer des encombrements sur le détroit » commente Christophe Mathieu, le président du Directoire

Les explications de tous ces faits sont à trouver du côté du ministre en charge du Brexit, Stephen Barclay, troisième de son genre chargé de gérer le divorce du côté britannique, qui réfléchit en petit comité, aux possibilités de no deal à l’issue du 29 mars 2019.  « Le ministère de l’Intérieur a reçu une dotation supplémentaire pour les contrôles aux frontières, le ministère des transports pour renforcer les ferries sur la Manche, celui de l’alimentation pour assurer la continuité des approvisionnements. La semaine prochaine, nous accélérerons notre campagne de communication pour s’assurer que les entreprises se mobilisent» s’est confié le ministre à plusieurs médias européens. Autant dire que les préparatifs se succèdent.

Les entreprises s’y préparent à des degrés toujours divers. Selon Pierre Sellal, ancien représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, « beaucoup ont considéré que cette sortie ne se produirait pas, ou que des arrangements politiques permettraient d’imposer un statu quo ». La Commission européenne avait pourtant exhorté les entreprises de préparer, à la date du 29 mars, à tous les scénarios qui pouvaient se présenter.

Dans l’industrie automobile, on sait par exemple que par prudence, l’usine de Mini fermera tout le mois d’avril pour laisser passer l’orage du Brexit.

Tout cela peut paraitre paradoxal, puisque le deal actuellement négocié apparait suffisamment protecteur pour les entreprises. S’il définit que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne le 29 mars 2019 et le marché unique européen à l’issue d’une période de transition plus longue, qui s’achèverait le 31 décembre 2020, il n’y aurait pas de de rétablissement de frontière pour la circulation des marchandises puisque l’union douanière reste en place.

Deux remarques à rappeler toutefois. D’abord, ce sont bien les députés qui approuveront, ou non, le deal obtenu par Theresa May en début de semaine prochaine.

Ensuite, le Brexit était une promesse que le Royaume-Uni retrouve plus de souveraineté. Le résultat risque d’aboutir à une situation inverse puisqu’en voulant continuer d’appartenir à l’union douanière européenne, le Royaume-Uni va devoir respecter tous les partenariats commerciaux européens avec le reste du monde sans avoir un seul pouvoir de décision sur leurs contenus puisque la Grande Bretagne aura quitté toutes les institutions.

Avec un tel reniement de politique commerciale, on voit donc mal comment une population avertit pourrait accepter que l’accord passe. Du côté des entreprises, en cas de no deal, ce sont elles qui subiront en premier lieu la lourdeur bureaucratique des nouveaux contrôles à venir. A court terme puisque à moyen terme, les usines et entrepôts existants au Royaume-Uni pourraient tout simplement revenir sur le sol européen. Le dilemme n’est donc pas simple.

 

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