L’économie US crée moins d’emplois que prévu, mais les boursiers sont contents parce que ça va justifier la générosité des banquiers centraux.

Le dernier rapport sur l’emploi américain a déçu les économistes, mais pour les boursiers, c’est plutôt une bonne nouvelle parce qu’ils vont pouvoir continuer de profiter de la politique monétaire généreuse et de l’argent magique.
La majorité des boursiers ne peuvent plus se passer de la drogue monétaire et le retour à la vie normale n’est pas un scénario qu‘ils souhaitent. Au contraire, ce qu’ils attendent surtout, ce sont les mauvaises nouvelles, notamment sur l’emploi. Parce que ces mauvaises nouvelles leur garantissent que les banquiers centraux seront à l'écoute des lobbies politiques et maintiendront une politique monétaire généreuse et laxiste qui soutient l’activité et apporte du carburant aux marchés financiers. C’est un peu ce qu’il se passe actuellement.
Chaque début de mois, les chiffres de créations d’emplois mensuelles américaines et du taux de chômage, sont très attendus du monde économique et politique. Mais pas forcément pour des bonnes raisons.
Ceux publiés début septembre et qui concernent le mois d’août, ont été loin des attentes et des prévisions qui avaient été faites par les économistes. L'économie américaine a créé, sur un mois, 235 000 emplois selon le rapport du département du Travail. C’est 500 000 de moins que ce que les analystes prévoyaient. En juillet, les États-Unis avaient créé plus d’un million d’emplois, ce qui avait été considéré comme une bonne performance.
L’emploi est un critère très regardé par les décideurs politiques, parce que c’est un marqueur de moral économique et social, mais aussi par les dirigeants de la banque centrale américaine parce qu‘ils savent qu‘ils devront réagir à la situation.
La banque centrale américaine a pour mission de surveiller les tensions inflationnistes, mais aussi l'équilibre du marché de l’emploi. Ce qui n’est pas le cas de la BCE dont les statuts ne l’obligent à ne regarder que l’inflation. Il a fallu le talent de Mario Draghi pour transgresser le dogme européen et caler la politique monétaire sur l’ensemble de la situation économique, et l’emploi notamment, ce qui lui a permis d’être plus interventionniste.
Face à ces mauvais chiffres du mois d’août, on a deux interprétations possibles :
Ces chiffres sont inquiétants parce qu’ils montrent, qu’à cause du variant delta, la croissance décélère, la reprise économique est finalement fragile, et pourrait s’ébranler très vite.
Ces chiffres sont une bonne nouvelle, car si l’emploi n’est pas à la hauteur de ce qui est souhaité, les politiques seront toujours accommodantes et donc très généreuses, surtout envers les marchés.
C’est le raisonnement un peu tortueux que les boursiers font depuis quelques mois déjà.
Les marchés ont profité à plein des programmes d’aide à l’économie.
En temps de Covid et de crise sanitaire, alors que les productions s’étaient arrêtées et les populations se sont confinées, les gouvernements et les banques centrales avaient mis les moyens pour que l’argent ne s’arrête pas de circuler.
Aide monétaire mise en place en urgence, dès le début de la crise, qui a consisté à ce que les banques centrales achètent des obligations d’Etat et d’entreprises. En payant ces titres aux sociétés financières qui les détiennent, elles injectent des liquidités dans l’économie et fluidifient les échanges et l’accès au crédit en diminuant les taux d’intérêt.
Ces programmes, dits de rachats d’actifs, ont été réalisés dans des proportions inédites. Le plus important d’entre eux étant celui de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, qui n’avait même pas émis de montant maximum au rachat d’obligations.
Les titres rachetés par la banque centrale sont ensuite inscrits à son bilan, sans qu’on sache précisément quelles peuvent en être les conséquences.
Ces rachats sont encore en cours aujourd’hui. Chaque mois, les banques centrales augmentent la base monétaire en circulation. Mais une bonne partie de cet argent s’est en fait retrouvée investie en bourse et a contribué à la hausse inexorable des marchés depuis 1 an et demi.
Quand on regarde l’évolution des cours, on peut se demander si les marchés ne sont tout simplement pas des malades imaginaires.
La correction des cours de bourse en mars 2020 a été vite rattrapée et oubliée. Depuis avril 2020, le CAC40 a repris 65%, le S&P500 80% et le Nasdaq, l’indice des valeurs technologiques, a même plus que doublé.
Les indices boursiers ont été portés d’abord, par l’espoir d’une reprise rapide, du vaccin quand il a été découvert en novembre 2020 et des résultats d’entreprises qui, maintenant, font mieux que leurs chiffres d’avant-crise.
D’où l’idée que ces aides sont devenues inadaptées et trop généreuses par rapport à la situation actuelle et qu’il faut penser à les éteindre.
C’est la peur du moment sur les marchés. Le « tapering », comme on l’a nommé en anglais, ou l’arrêt ce programme de soutien monétaire.
Personne ne s’attend à ce qu’on arrête tout brutalement, il ne faudrait pas créer une crise dans la crise. Parce qu’il y a eu une accoutumance des marchés, il va falloir diminuer progressivement la dose d’injection monétaire, exactement comme une dose de morphine. En respectant un calendrier prédéfini.
Mais les banquiers centraux se retrouvent coincés, entre une situation macro-économique, américaine, européenne, qui est revenue à un niveau satisfaisant et des boursiers qui mettent la pression pour préserver cet apport de liquidités le plus longtemps possible.
C’est comme si les boursiers n’avaient qu’un cerveau reptilien, pour répondre à leurs besoins immédiats sans se soucier du futur et d’un retour à la normale, devenu obligatoire.