Les silences de Constance Guichard-Poniatowski au cœur du réacteur historique de la droite française

Constance Guichard Poniatowski a grandi et vécu au cœur de la Veme République. Elle a tout vu, tout entendu, ou presque.  Elle n’a jamais rien dit pendant plus d’un demi-siècle. Elle se décide à parler. C’est un petit bijou de finesse et d’humour. Mais pas que…

Ce livre contient tous les ingrédients du succès pour faire une série Netflix. Après Michèle Cotta et Catherine Nay qui ont, avec beaucoup de bonheur et de plaisir, raconté la Veme  République telle qu’elles en ont observé les acteurs et les forces en présence, voilà que sort un livre de souvenirs très particulier, très personnel de Constance Poniatowski qui décrit cette même Veme République. Très personnel parce qu’elle est née et a vécu au cœur de ce réacteur mis en place par le Général De Gaulle en 1958.

Et Constance n’a jamais parlé. C’était dans sa nature. Enfant, adolescente, adulte, elle a tout vu, tout entendu. Mais elle n’a jamais parlé. C’était impératif dans cette famille « Never explain, never complain. » comme aurait dit en 1851 la Reine Victoria au futur Edouard VII, son fils, alors âgé de 10 ans.

Ce livre est un livre truffé d’humour, mais on se rend compte dès les premières lignes que cet humour dissimule tellement de souffrances personnelles que c’est surtout un livre d’émotion.

Constance est journaliste, elle a dirigé la rédaction de magazines féminins. Elle n’a donc, de sa vie jamais écrit ou parlé de politique.  Parce que la politique n’était pas dans ses gènes, ou alors parce qu’elle s’était murée dans le silence pour protéger ceux qui ne l’ont pas assez aimé parce que leurs vraies passions étaient ailleurs que dans le cercle familial.

Constance est la fille d’Olivier Guichard. Grand baron du Gaullisme depuis la libération. Plusieurs fois ministre, il a été de tous les combats du Général de Gaulle avec Michel Debré, Roger Frey, Georges Pompidou et quelques autres.  La « bande » habitée par une certaine idée de la France. Constance a donc vécu en Gironde, en Bretagne, là où ses parents avaient des racines et Paris là où sont les lieux de pouvoir.

Mais Constance va aussi par son mariage avec Ladislas Poniatowski entrainer sa famille et les amis de son père sur un volcan en éruption. Ladislas est non seulement le descendant du maréchal d’empire mais c’est le fils de Michel Poniatowski, le plus proche des barons de Valery Giscard D’Estaing. Tous ceux qui se souviennent de la vie politique dans les années 1960 mesurent sans doute à quel point la situation de cette droite française pouvait être violente. La droite gaulliste revue et corrigée par George Pompidou qui a beaucoup vécu dans l’ombre de La Croix de Lorraine. Et la droite Giscardienne qui s’avérait plus préoccupée par la prospérité économique et l’ouverture sur le monde et sur l’Europe. Les enjeux de pouvoir étaient considérables. Et entre les deux clans, un petit jeune qui est venu troubler les eaux déjà troubles de la classe politique. Il s’appelait Jacques Chirac et annonçait l’avènement d’une autre époque.

Et tout s’est joué sous les yeux de Constance qui, au départ de cette aventure politique, était très petite.

Ce qui est très émouvant dans ce livre, c’est surtout la description de ce milieu assez cadenassé, où on ne se parlait pas trop, pour sauver les apparences et les secrets de famille. Il faut dire que le Grand-père paternel de Constance, Louis Guichard avait été le directeur de cabinet de l’amiral Darlan sous Vichy . Mais au-delà, il y avait le poids de l’éducation. « Chez ses gens-là, comme aurait pu dire  Brel, on ne parle pas… »

Constance voyait assez peu son père, elle aimait sa mère, Suzanne, l’enchanteresse.  Et dans cette famille qui considérait que la politique était le plus beau métier du monde, Constance a très vite pensé que la politique pour elle, était surtout le lit de l’hypocrisie et des douleurs accumulées.

D’autant qu’il n’y avait pas beaucoup d’argent, contrairement à ce que l’opinion croit encore aujourd‘hui. Il y avait beaucoup de principes et d’ambition pour la France et c’est vrai. Mais les acteurs du système politique prenaient beaucoup de distance avec les principes moraux qu’ils défendaient en période électorale. Il fallait séduire déjà. Et tous étaient d’infatigables séducteurs. Constance leur avait trouvé une excuse : il leur fallait être élu et pour être élu, il fallait plaire.... Ça n’a pas changé.

Sur la rivalité entre Valery Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, qui a été déterminante pour l’évolution de la droite française, Constance ne révèle pas de secrets que les docteurs en sciences politiques n’auraient pas déjà décryptés, mais son récit fourmille d’anecdotes restées enfouies au fond de sa mémoire d’ado et de témoignages qui montrent la violence des rapports et les roueries des uns comme des autres.

Le livre est un roman, parce que les personnages sont romanesques ou héroïques selon les lunettes avec lesquelles on les observe. L’organisation politique fonctionne un peu en vase clos, déjà. Les réseaux sociaux n’existent pas pour percer l’omerta qui règne et qui protège le système mais pour de bonnes raisons, puisqu’il s’agit de travailler pour le bien public. Pour la grandeur de la France. En fait, cette omerta pèse surtout sur la sphère privée des principaux acteurs et sur leur mode de vie.

L’ultime omerta dans la vie de Constance nous est révélée à la toute fin de son livre avec beaucoup de pudeur empreinte d’une douloureuse amertume, le jour des obsèques de celui qui lui a, en fait, tellement manqué, son père, Olivier Guichard.  A l’église au début de la messe, Constance et ses sœurs découvrent une réalité qu’elle n’avaient sans doute jamais  imaginée. A la fin de ce livre, exactement comme dans les séries Netflix pour annoncer une saison 2.  

Après tant de silences…

 Par Constance Guichard-Poniatowski .. éditions Bouquins mémoires