L’Europe demande à l’Allemagne de choisir ses clients et cesser de faire du commerce avec des pays « immoraux »

Le voyage à Pékin d’Olaf Scholz montre qu’il va être urgent que les pays européens se mettent tous d’accord sur ce qu’on peut faire avec des partenaires dont les valeurs sont trop différentes de nos principes démocratiques. Sinon, l’Union européenne disparaitra et les pays membres avec elle.

Les Occidentaux, dont les Européens, ne pourront plus faire à l’avenir tout et n’importe quoi au nom de l’intérêt mercantiliste comme ça a été le cas avant la guerre en Ukraine. Cette guerre a révélé qu’il devenait impossible de faire des commerces ou de partager des investissements avec des pays qui sont capables de déclencher des guerres et de s’asseoir sur tous les accords internationaux ou règles commerciales les plus basiques, au nom de la protection de leur propre valeur hégémonique et malheureusement systémique.

Avant la guerre en Ukraine et depuis presque 30 ans, les pays occidentaux pensaient que l’économie, le commerce, le développement des échanges de produits et de services, d’innovations et de capitaux allaient contribuer à dépassionner les rapports humains, les sortir du champ des conflits idéologiques.

Et sérieusement, la majorité de la planète s’étant convertie à l’économie de marché, tout le monde pensait que la concurrence (ou la rivalité entre les peuples) allait se limiter à une compétition sur le terrain de la puissance économique qui revenait à un jeu qui serait gagnant-gagnant pour tout le monde. Et pendant presque un demi-siècle, cette mondialisation de la création de richesse a bénéficié à une majorité d’êtres humains. Beaucoup sont sortis de la misère. Les pays sous développés, comme on disait au temps des colonies, sont devenus des pays en voie de développement puis des pays émergents. Alors, cette mondialisation n’a certes pas réglé tous les problèmes de la même façon partout. Les inégalités sont restées très fortes, y compris dans les vieux pays industriels. Mais le bilan a quand même été globalement positif pour reprendre l’expression du parti communiste, autrefois.

La guerre en Ukraine a évidemment bouleversé toutes ces certitudes.

On a découvert que certains pays ne pensaient pas que la puissance et le salut passaient principalement par la performance économique. Il leur fallait imposer des objectifs culturels et historiques, des formes d’organisations qui ne réfèrent pas aux valeurs universelles nées en Occident au siècle des Lumières. Vladimir Poutine, par exemple, est parti pour des croisades bien différentes.

On a découvert aussi que beaucoup de ces pays qui ont profité de leur adhésion à l’OMC, l’organisation mondiale du commerce, n’ont pas respecté les accords de réciprocité. La Chine, par exemple, ne s’est pas privée pour piller des actifs scientifiques et technologiques, copier les process, voler les brevets et surtout ne pas respecter les engagements qu’ils avaient signés sur les conditions de travail et sur la lutte pour l’environnement.

Enfin, la crise du covid et la guerre en Ukraine viennent de nous montrer que nous étions tributaires de nos fournisseurs au mépris des engagements. La crise du Covid nous a privés de composants électroniques, les effets de la guerre ont provoqué une explosion des prix des énergies, des matières premières et des produits agro-alimentaires. Avec des risques de pénurie et de blocage.

L’Allemagne, qui avait construit un modèle économique de développement en se branchant sur le gaz d’origine russe, s’est retrouvée complètement piégée quand les livraisons ont été arrêtées. Piégée parce que le gaz russe couvrait 60 % de ses besoins. Besoins domestiques et surtout industriels. En quelques mois, l’Allemagne a donc entrepris de trouver des ressources alternatives. Elle a fait appel à l’Union européenne, elle a relancé des centrales au charbon, et elle va même jusqu’à redémarrer des centrales nucléaires. Cela dit, sa fonction de production est grandement abimée et surtout sa compétitivité grandement altérée.

Mais ça n’est pas tout, si la prospérité de l’Allemagne était très dépendante de la Russie,cetteprospérité repose aussi, grâce à des débouchés à gros potentiel sur les marchés chinois. Débouchésindustriels à forte valeur ajoutée et à gros rendement. Le problème, c’est que le Covid a fragilisé le marché chinois. 

D’où le voyage en grande pompe du chancelier allemand, accompagné par un charter de grands patrons, pour s’assurer de la solidité du marché allemand. Et c’est là où le bât blesse.

Il blesse, parce que tous les évènements récents incitent les industries multinationales à choisir avec beaucoup de discernement les régions du monde avec lesquelles elles peuvent signer des partenariats.

En fait, l’époque du « doux commerce » comme l’annonçaient Montesquieu ou Diderot dans L’Encyclopédie en expliquant que le commerce allait adoucir les mœurs, et désamorcer les risques de conflit, cette époque-là est révolue.

Objectivement, on ne peut plus tisser des partenariats, des accords d’échange qu’avec des régimes qui partagent nos valeurs.

C’est une affaire de morale certes, ou d’éthique idéologique, mais c’est aussi une affaire d’intérêts partagés.

Du côté des chefs d’entreprises, des investisseurs, des salariés, on ne peut plus faire des affaires avec des pays qui peuvent nous faire la guerre pour des raisons impérialistes. On ne peut plus faire des partenariats avec des acteurs qui ne respectent pas les droits élémentaires du travail, les conditions sociales les plus élémentaires, les normes d’environnement, des pays qui ne respectent pas les libertés personnelles, et individuelles au mépris des principes démocratiques etc.

Les chefs d’entreprises ont compris que leurs consommateurs, clients, investisseurs,  salariés sont prêt à s’engager dans les débats de sociétés, politiques, diplomatiques au prix de perdre des clients, d’accepter des rendements plus faibles et même d’assumer une inflation.

La perte de rendement, l’érosion de certains cours boursiers, la baisse des pouvoirs d’achat sont acceptables parce que l’entreprise a désormais le devoir de choisir ses clients.

C’est la raison pour laquelle la décision du gouvernement allemand fait débat en Europe. Personne ne reproche aux dirigeants allemands de protéger les intérêts du peuple allemand, sa sécurité d’approvisionnement, son chiffre d’affaires et sa compétitivité, mais beaucoup en Europe sont sur le point de reprocher aux Allemands de faire cavalier seul. Si la Russie est infréquentable, si la Chine est inquiétante, tous les pays occidentaux sont concernés et doivent coordonner leurs politiques.

Ils ont réussi à le faire au moment du covid, ils ont beaucoup de mal à dessiner une solidarité économique et sociale à un moment où on ne ne pourra décemment plus faire du commerce avec n’importe quel pays totalitaire.