L’Union européenne décide un embargo sur le pétrole, dont les conditions sont tellement floues que les Russes ne vont pas en souffrir avant longtemps
La Commission européenne a donc proposé un embargo sur le pétrole russe dont la mise en œuvre sera très compliquée. Les Russes ne seront pas gênés avant longtemps, les prix des carburants vont repartir à la hausse. Il y avait pourtant une autre solution plus intelligente.

La Commission européenne a donc proposé de ne plus acheter de pétrole russe. Les prix de l’énergie sont aussitôt repartis à la hausse puisque le baril de Brent a progressé de 4% à 110 dollars. Ce qui se retrouvera à la pompe dans les jours qui viennent. Avec le pétrole, les prix du charbon, du gaz et de l’électricité ont également rebondi.
Cela dit, le marché n’a pas trop sur-réagi. On se souvient qu’au début de la guerre en février, le baril avait touché les 130 dollars le baril. A l‘époque, le marché international craignait une désorganisation totale, compte tenu des risques de sanctions sur la Russie.
La décision annoncée par la présidente de la Commission européenne touche une partie des approvisionnements en pétrole russe, mais après plus de deux mois de guerre et dans des conditions tellement floues que la Russie n’en sera assez peu gênée du moins à court terme.
D’abord, la proposition d’embargo ne touche pas au gaz. Elle se limite au pétrole russe qui représente 60 % des approvisionnements des Européens et laisse aux pays européens le soin de s’organiser pour freiner les importations, ce que certains ont commencé sans attendre les conseils de Bruxelles. Les pays du nord sont peu consommateurs, il sont donc tous fermes sur la position à tenir. Les Allemands ont déjà fait des efforts considérables sur le pétrole, mais les autres pays dont la France ne se sont pas trop bougés.
Ensuite, la proposition sera effective quand chacun aura trouvé des fournisseurs alternatifs en Arabie saoudite, et aux Etats-Unis qui vont redevenir un des plus gros producteurs de pétrole. Mais ça va demander du temps.
A très court terme, la Russie ne va pas être très gênée par ce qui n’est encore qu’un projet d’embargo.Les Russes vont continuer de toucher les revenus d’environ 100 milliards de dollars en provenance de ses ventes de pétrole à l’Europe, d’autant que les prix augmentent et que les livraisons de gaz ne sont pas affectées. Par conséquent, les Russes vont pouvoir continuer à financer leur guerre payée par les consommateurs occidentaux.
A plus long terme, en revanche, la situation sera très différente. L‘Europe va pouvoir se priver du pétrole russe dans les 3 ou 4 moins et sur le gaz, la coupure pourra être effective en fin de l’année prochaine.
Ça veut dire qu’en 2023, les sanctions occidentales auront réussi à faire perdre à la Russie l’essentiel de ses ressources financières. Entre le gaz et le pétrole, c’est 340 milliards de dollars de recettes en moins. Pour peu que parallèlement, les exportations de blé se réduisent comme une peau de chagrin faute de récolte, de semence et de transport, que les exportations de métaux rares aient été remplacées par d’autres matières premières, l’économie russe va complètement s’effondrer à la fin de 2023. C’est du moins la prévision que font beaucoup d’experts en géopolitique.
Sans argent la machine russe ne peut plus fonctionner pour très longtemps.
D’une part, il va falloir trouver d’autres clients mais ceux-ci ne sont pas pressés de se porter au-devant des offres de la Russie.
D’autre part, il faudra reconstruire beaucoup d’actifs de production et d’équipements industriels, parce que ceux qui ont été mis en place au cours des dix dernières années pour alimenter l’Europe (NordStream par exemple) sont complètement inutilisables ou obsolètes.
Donc cette annonce de la Commission de Bruxelles est sans doute une très belle annonce politique, mais son intérêt à court terme n’est pas évident (les prix vont monter et les Russes vont en profiter). A long terme, cet embargo va être très efficace dans le processus d’asphyxie de la Russie et son changement de modèle.
La meilleure solution pour l’Europe et l’Ukraine aurait été d’annoncer la fermeture totale des importations de pétrole et de gaz, par conséquent de couper immédiatement les vivres à la Russie et donc d’arrêter la guerre. Cette rapidité n’a pas été possible parce que les 27 n’ont pas su se mettre d’accord sur ce type de décision et surtout, ils n’ont pas réussi à mettre en place un mécanisme de solidarité entre les différents partenaires. L’Europe-là n’a même pas été capable de regrouper les achats de pétrole afin d’obtenir des prix.
Il existait une solution sans doute plus intelligente encore, qui a été proposée par la secrétaire d’Etat au Trésor américain.
Washington a en effet suggéré de regrouper tous les acheteurs de pétrole dans le monde dans une sorte de cartel. L’objectif de ce cartel aurait été de s’interdire d’acheter du pétrole à plus de 50 dollars le baril au risque de subir des sanctions. Sanctions pour les acheteurs comme pour les vendeurs.
Dans ce schéma, les producteurs de pétrole auraient vu qu‘ils avaient, face à eux, un bloc d’acheteurs auxquels ils ne pouvaient pas faire avaler du carburant à n’importe quel prix. Quant à la Russie elle aurait été obligée de se plier à ces conditions.
Cette procédure était sans doute la meilleure arme anti inflation. Pas très libérale puisque l‘Amérique s’asseyait sur les lois du marché, mais enfin, ça n’aurait pas été la seule entorse - et pas la plus grave - que la guerre aura imposé depuis le début des hostilités.