Macron et le doux rêve des Saint-Simoniens : réformer sans principe de réalité

Les faits et les chiffres sont têtus, mais les peuples aussi. Quand une majorité des Français ne veut pas entendre les principes de réalité mais s’avère convaincue de tout savoir et tout connaitre, ça clash.

L'idéologie du Saint-Simonisme : le progrès d'abord

L’un des reproches les plus forts que les analystes cultivés ont pu faire à Emmanuel Macron depuis le début de son premier quinquennat, c’est d’appliquer les principes du saint-simonisme. C’est vrai. Il a même été élu avec un programme fondé sur les principes élaborés par le comte de Saint-Simon. Il a séduit les élites françaises et une grande partie de la classe moyenne avec la conviction qu’il pourrait réformer la France.

Sans faire un cours d’histoire qui serait forcément caricatural, rappelons seulement que le Saint-simonisme est une doctrine économique et sociale élaborée par le comte de Saint-Simon (1760-1825) à la fin du 18e siècle et pendant tout le 19e siècle. C’est donc la doctrine qui a porté toute la révolution industrielle en Europe et qui a fourni et formé les élites gouvernementales et industrielles après la révolution, en chassant les héritiers et les aristocrates, le mérite et l’expertise étant les principaux critères de sélection.

Concrètement, le saint-simonisme - et c’est son ambition - préconise l’amélioration du sort et de la vie des plus nombreux, la prospérité pour le plus grand nombre et la réduction des inégalités. Concrètement, les saints-simoniens prônent l’effacement du politique au profit de l’économie. Et alimentera de ce fait beaucoup de courants et de tendances qui vont traverser la pensée moderne : le socialisme, l’industrialisme, l’aménagement du territoire, la technocratie, l’internationalisme et même la mondialisation à la fin du 20esiècle.

Le saint-simonisme cultive le goût et la passion de la modernité, de la technologie et de l’innovation. Et le partage de la prospérité. Ils sont polytechniciens ou centraliens, et sont à l’origine en France de tous les projets qui ont permis au pays de décoller à partir du Second Empire. Napoléon III et son demi-frère Morny en sont entourés. Gustave Eiffel en sera un porte-drapeau dans le monde entier. Les grandes guerres mondiales vont les éloigner du pouvoir mais ils reviennent en force à la Libération. Le plan Marshall, les Américains et les Anglais sont Saint-Simoniens. En France, la 4e République va s’effondrer sur la pression des querelles politiques mais les Saint-Simoniens reviennent avec le Général de Gaulle qui les écoutent, Georges Pompidou et Valery Giscard d’Estaing aussi. François Mitterrand les respecte parce qu’il se méfie des idéologies. Donc ils ne restent pas loin des cercles du pouvoir. Jacques Chirac ne les aime guère mais il ne peut pas s’en passer parce qu’ils le rassurent. François Hollande les ménage. Et Nicolas Sarkozy les moque mais il se réfère constamment a ce qu’il appelle le cercle de la raison.

Les Saint-Simoniens sont plutôt à gauche, mais ils vont trouver dans le libéralisme des ressorts et des outils qui leur sont nécessaires : l’économie de marché, la concurrence, l’intérêt individuel, le recul de l’Etat sur ses fonctions régaliennes. Alain Minc conseille la droite et Jacques Attali la gauche, mais ils ont les mêmes recettes qui sont aussi appliquées dans les grandes entreprises. Satisfaire les clients (ou les électeurs)  en ménageant les grands équilibres à long terme.

Il y a du Machiavel dans Saint-Simon

Les détenteurs du pouvoir doivent travailler pour le plus grand nombre. Ils ont donc une obligation de résultats. Mais du côté des moyens, il faut se débrouiller pour faire respecter les faits et les chiffres. 

Dans cette logique, les Saint-simoniens respectent les personnels politiques ou les process démocratiques mais ne militent pas. Ils forment ou s’intègrent à des réseaux d’influence, le plus puissant sera sans doute celui des francs-maçons mais pas seulement.

La ligne de force des Saint-Simoniens modernes, c’est de faire en sorte que le pouvoir soit détenu par des experts du développement économique, parce que le développement économique garantit la prospérité et la prospérité est un facteur de paix, d’où la construction de l’Union européenne et la mondialisation à marche forcée à partir de la fin du 20 e siècle. L’effondrement du système soviétique a écarté les idéologues du communisme au profit des techniciens et des ingénieurs de l’économie de marché. 

L’actualité récente nous montre que face à l’idéologie étatique et autoritaire, l’apport des Saint-simoniens n’a pas été évidente en Russie comme en Chine en dépit des efforts faits par les industriels.

Cela étant, la période que nous vivons désormais ouvre à la porte à des débats entre les techniciens de la modernité et les idéologues politiques. La transition énergétique, la mutation digitale et la lutte pour l’environnement interpelle les radicaux idéologues d’un coté et les praticiens de l’économie de l’autre. Et ces débats sont loin d’être tranchés.

Emmanuel Macron, dans tout cela, est arrivé au pouvoir grâce au soutien des membres du cercle de la raison, donc des Saint-simoniens modernes. les pouvoirs politiques se sont progressivement dévalorisés, dépréciés  et par conséquent retrouvés impuissants à réformer ou tout simplement à adapter l’appareil d’Etat à la modernité.

Emmanuel Macron a fait le pari qu’il pourrait assurer cette transformation et il a convaincu une majoritéd’électeurs de lui permettre d’exercer cette entreprise de rénovation. Son arrivée au pouvoir a surpris le monde entier qui l’a superbement bien accueilli.

Le diagnostic de la situation française était partagé par toute l’élite dirigeante française de droite comme de gauche : un État obèse, endetté, socialisé, une économie vulnérable et donc fragile.  

Macron a fait tout ce que les Saint-simoniens, qui avaient entouré Louis-Napoléon Bonaparte, avaient préconisé au lendemain de son élection. Il a paralysé la représentation nationale, il a neutralisé les pouvoirs locaux et écarté les intermédiaires sociaux en pensant que ce que les experts ont imaginé pour le bien public s’imposerait de fait et de toute évidence, et qu’on pourrait réformer le pays.

Les chiffres s'imposent

Mais ce qui était vrai au 19e siècle, ne l’est plus aujourd’hui. Les faits et les chiffres sont de plus en plus sophistiqués, la réalité est de plus en plus complexe et tout cela s’impose à une population qui ne connait pas ces faits et ces chiffres, mais qui croit les connaitre grâce aux réseaux sociaux  et par conséquent,  refuse les réformes.

Quand tout va mal au moment du Covid, la population est satisfaite de recevoir des aides massives mais ne s’interroge pas sur l’origine de ces fonds. Les Saint-simoniens sont impuissants à expliquer la réalité de l’origine des fonds.

Tant qu’on reste au « quoi qu’il en coute », ça marche. Dès qu’on arrive au moment de l’addition, personne ne comprend qui paie quoi.

Nous sommes actuellement au moment où il faut payer l’addition pour ménager l’avenir  et les Saint-simoniens de 2023 sont comme ceux de 1870, incapables de convaincre qu’il existe un mur des réalités sur lequel on va se fracasser.  

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