Manuel Valls, en essayant de ne pas déplaire, a réussi à ne satisfaire personne

Bref il aurait pu être, aussi, lui-même : plus clivant. Il aurait gagné en efficacité. Au niveau de popularité où est descendue la majorité parlementaire, il n’avait rien à perdre. Et non, il a voulu faire plaisir à tout le monde.
Manuel Valls hier n’a pas complètement oublié de faire du Manuel Valls, et heureusement ! Il s’est donc donné une obligation de résultats en termes économiques. De ce point de vue, il a effacé 22 mois de Jean-Marc Ayrault, dont on ne savait jamais, lorsqu’il prenait la parole, d’où il venait, et où il allait. Les entreprises, oui, mais elles n’étaient jamais au cœur de son réacteur. Il faut dire qu’on était peut-être encore trop près du discours du Bourget où François Hollande avait fustigé le monde de l’argent.
Le discours de politique générale de Manuel Valls est d’abord une ode généreuse et pléthorique aux entreprises, aux petites, aux grandes, aux start-up, aux commerçants, aux artisans, aux agriculteurs. Une ode très enflammée avec des détails chiffrés, beaucoup de détails (ça doit faire crédible et sérieux) mais beaucoup de flou dans l’application, le calendrier et le financement. En fait, lorsqu’on relit le texte, on se félicite des intentions, mais on s’étonne qu’elles soient si lointaines et si difficiles à appliquer. En bref, ce programme est bourré d’espérances. Il part du principe que l’entreprise est la clef du redressement. Mais comme l’écosystème que l’on crée autour de l’entreprise ne correspond pas à l’objectif, on se dit que ce programme doit être truffé de promesses irréalisables, et par conséquent de grandes douleurs à venir.
Ce qui est très étonnant dans la ligne tracée pour la politique économique, c’est que dans la forme, elle part du diagnostic que le mal français s’inscrit dans un déficit de compétitivité et dans un déficit d’offre. Et ce diagnostic, qui était à la base du virage amorcé par François Hollande, est grosso modo partagé par la majorité des économistes occidentaux. Mais à partir de ce credo, Manuel Valls déroule un catalogue de mesures qui s’inscrivent plutôt dans une politique de soutien à la demande. A partir du moment où ces mesures de baisses de charges, d’allègements fiscaux, ou autres, ne sont pas ou peu financées, elles vont contribuer à alimenter une demande, mais comme l’appareil industriel français n’est pas capable de répondre à cette demande, le montant des importations va s’accroître.
D’une certaine façon, Manuel Valls fait ce que tous les gouvernements français ont fait depuis trente ans : il saupoudre, il distribue un peu à tout le monde pour faire plaisir à tout le monde. Le problème étant qu’avec la conjoncture actuelle, la mondialisation, et le niveau très mature de la consommation, une telle pratique ne contribue pas à réduire les déficits budgétaires, et les endettements extérieurs creusent le déficit commercial extérieur.
Le programme Valls soutient plus la demande prançaise que l’offre des entreprises, moyennant quoi un tel programme profite aux entreprises européennes, qu’elles soient allemandes, italiennes ou espagnoles. D’une certaine façon, la France vient en aide à nos partenaires qu’on n’arrête pas de critiquer. Eux connaissent la croissance grâce à la demande française… Formidable ! Nous pas !
Globalement, les mesures seront plutôt bien accueillies par ceux à qui elles sont destinées. Le problème de leur efficacité est entier dans la mesure où leur financement n’est pas sécurisé :
1) L’allègement des cotisations patronales. La suppression pour les salariés au smic et l’allègement pour les autres est sans doute la décision la plus spectaculaire. Elle répond à une demande récurrente des organisations patronales, et surtout des PME-PMI. Le crédit d’impôt compétitivité d’un coté, qui commence à être versé, que les entreprises découvrent et ne refusent pas, puis l’allégement des charges de l’autre, à partir du 1er janvier 2015 ou 2016, vont forcément provoquer un impact positif sur l’emploi et notamment sur l’emploi des jeunes. Mais quand ? C’est mille fois plus intelligent que les emplois d’avenir ou les emplois aidés qui disparaissent quand l’aide est suspendue.
Le problème de cette mesure est qu’elle ne touche pas les jeunes cadres, ceux qui, en sortant de leur école d’ingénieurs, espèrent gagner 3000 euros par mois. Ce sont eux l’avenir de ce pays. Ce sont eux qui créent de la valeur et qui consomment. Ce sont eux qui partent à l’étranger par milliers, au Canada, aux États-Unis ou en Australie. Ils partent pour travailler ou créer des entreprises.
L’autre problème, c’est aussi le calendrier trop flou, trop éloigné de la cible. Quant au financement ? Mystère !
2) La baisse du taux normal de l’IS, la réduction de la C3S puis de sa suppression, la suppression des impôts à faible rendement, personne ne s’y opposera. Il s’agit de baisser le taux global des prélèvements qui pèsent et freinent l’activité. Le problème une fois de plus est le calendrier. Avant que les mesures soient votées et appliquées, on a le temps de toucher des gouvernements qui reviendront dessus. Ces mesures ne sont pas plus financées que les autres.
En termes macroéconomiques, elles en arrivent à soutenir une demande qui profitera aux industriels étrangers.
Une véritable politique d’offre aurait ciblés ses outils sur l’innovation, l’investissement et son financement, sur la liberté d’initiative et sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise. Le programme Valls ne dit rien sur la rémunération des cadres, sur la participation ou l’intéressement et même sur les stocks options. L’activité économique repartirait si les chefs d’entreprise avaient intérêt à ce qu’elle reparte. Rien dans le dispositif fiscal ou social ne donne de la liberté aux chefs d’entreprises. Le code du travail, pléthorique et asphyxiant, n’est pas touché.
3) Le programme d’économie de 50 milliards n’est pas acté. on n’a pas cessé de nous en parler depuis un mois, puis plus rien. Le première Ministre n’a donné aucune information qu’on ne connaissait pas déjà. Par conséquent, ce programme ne suffira pas. La meilleure preuve, c’est que Manuel Valls n’a pas exclu de demander une renégociation des engagements budgétaires à Bruxelles. Cette petite phrase est une marque d’honnêteté, mais c’est aussi le signe qu’il n’y arrivera pas. La France va se retrouver bien seule. L’Italie ne l’appuiera pas, contrairement à ce que croyaient certains socialistes. L’Italie s’est débrouillée autrement.