Prélèvement à la source : et si la vraie cause du cafouillage était purement technique, la peur du bug

Si l’Elysée hésite encore à lancer le prélèvement à la source, c’est moins pour des raisons politiques que pour des raisons techniques liées aux risques de bug informatique. 

Quel cafouillage ! Si le président de la République a rendu publiques les hésitations qu’il avait encore sur la mise en place du prélèvement à la source dès le 1er janvier 2019, c’est qu’il veut avoir la certitude que la mécanique informatique pourra démarrer sans bug et sans risque de blocage de l’administration. C’est le grand risque, beaucoup plus que l’émergence de perversion politique

Or, a priori, les services de l‘Elysée n’auraient pas reçu au cours de l‘été toutes les assurances dans ce domaine. Notamment sur la partie concernant les rémunérations des fonctionnaires.La collecte des données personnelles, le traitement de ces données auraient été moins efficace que dans le privé où les entreprises se sont mises à niveau assez rapidement. Il reste donc des ajustements à faire dans les logiciels de traitement et dans les applications, et des tests de fiabilité. 

Le risque couru dans cette affaire serait de se retrouver avec des bugs qui bloqueraient toute l’administration des personnels et particulièrement la gestion des salaires. 

Les responsables politiques ont encore en mémoire ce qui s’est passé dans l‘armée à partir de 2011, quand le ministère a mis en place un logiciel de gestion centralisé des soldes, le fameux système Louvois, et qui a pendant près de 10 ans, semé une pagaille noire dans l’appareil militaire jusqu'à ce que le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian, effaré par le désordre engendré, décide de tout remettre à plat. Les militaires n’ont pas été payés pendant des mois, certains se sont aperçus que leur mutuelle les avait radiés, que les crédits d‘impôts n’avaient pas été pris en compte ou que leurs prélèvements automatiques n’avaient pas été effectués. Bref, une pagaille noire qui a fini par atteindre le moral des troupes. 

Alors, ce dysfonctionnement chez les militaires n’a pas dégénéré en scandale national parce que la défense nationale a su rester discrète, mais la pagaille noire engendrée a fini par atteindre le moral des troupes. 

Toutes les grandes organisations craignent le bug informatique. Tous les responsables politiques ou chefs de grandes entreprises sont obsédés par les risques de grande panne ou de blocage de tous les rouages. 

La banque, par exemple, dépense beaucoup d’argent pour s’assurer de la fiabilité de ses systèmes de paiement et de circulation de ses flux.  On se souvient là encore, des investissments colossaux consentis dans tous les secteurs pour éviter le fameux bug de l’an 2000. EDF, la SNCF sont particulièrement fragiles et vulnérables. Ces deux entreprises savent qu’une grande panne informatique peut engendrer une panique nationale. 

Alors, l’administration publique n’échappe évidemment pas à la nécessité de se moderniser et doit donc, elle aussi, investir énormément dans le digital. Ne parlons pas de l'Education nationale, où les systèmes informatiques doivent à la fois assurer la gestion des personnels enseignants et la gestion des élèves et des étudiants. En cette période de rentrée, on sait très bien que cette gestion ne se passe pas sans difficultés. Et le ministre de l’Education nationale redoute plus la panne d’ordinateur que le coup de gueule d’un chef de syndicat d’enseignants.  

Toute la gestion des systèmes sociaux (assurance maladie, assurance retraite, chômage ...) est en cours de transformation. L’administration fiscale a déjà fait de son côté des réformes très importantes dans la digitalisation de son fonctionnement : déclaration en ligne, prélèvement automatique des impôts etc. Et jusqu’alors, la transformation a été plutôt réussie et assez bien acceptée par les citoyens. 

Le passage au prélèvement à la source représentait un tout autre challenge parce qu’il nécessite de collecter des informations venant de différentes sources, et surtout parce qu‘il touche à des données très personnelles, très individuelles (situation familiale, revenus personnels....). Et que l’impôt finalement, c’est le cœur de l’Etat régalien. L’impôt est donc sacré. 

 

Le problème est d’autant plus compliqué, que les systèmes applicables sont nombreux, autant que les opérateurs, applicateurs ou prestataires qui viennent en appui d’une administration qui cherche à conserver l’initiative et la maitrise du chantier. Les marchés publics concernant la digitalisation de la seule l’administration d’Etat sont considérables (10 milliards d’euros) et tous les professionnels du secteur se disputent ces marchés. Les plus grands cabinets de conseil en organisation, les Big four - les EY, Deloitte, KPMG, Price - les grands fabricants de logiciels d’organisation comme SAP, et les grands applicateurs comme Capgemini, les spécialistes de la gestion de data comme Oracle, et toutes les SCI qui ont poussé comme des champignons avec la révolution digitale. 

 

Tous ces opérateurs ont évidemment des obligations de résultats par rapport au cahier des charges qu’ils ont signés, sauf que pour mesurer les résultats, il faut le plus souvent lancer le système. Et quand le système appliqué n’est pas conforme aux attentes, soit parce qu’il y a des défaillances techniques ou même un bug lié à des circonstances extérieures non prévues, il est trop tard. Le mal est fait avec des conséquences financières et politiques difficiles à assumer. 

 

Contrairement à ce qu’expliquent beaucoup de responsables politiques de l’opposition, le prélèvement à la source ne porte pas beaucoup de risques de mécontentements ou d’effets pervers. Les difficultés sont plus psychologiques que réelles. 

Cette réforme a été faite dans tous les pays d’Europe depuis des années et elle n’a jamais provoqué de psychose chez le contribuable. Elle simplifie toutes les opérations administratives et pour le contribuable, elle est dans la majorité des cas assez bénéfiques parce qu’elle lisse sa dépense fiscale sur l’ensemble de l’année. Alors, il peut y avoir des cas où les contribuables peuvent se retrouver avec une surcharge en trésorerie pendant l’année de mise en place, mais ca reste très marginal.

C’est d’ailleurs particulièrement vrai en France où plus de la moitié des contribuables ne sont pas éligibles à l'impôt sur le revenu, 56% exactement ne paient pas l’impôt. Quant à ceux qui le paient, 70 % sont déjà mensualisés par la banque. Alors, l'alternative à la mise en place du prélèvement à la source par l’Etat eut été de confier l’opération de collecte aux banquiers. Ils savent le faire. Le contribuable aurait-il été plus sécurisé ? Pas sur !  La collecte de l'impôt est le privilège de l’Etat, c’est même la principale de ses compétences régaliennes, qu’on lui laisse le faire est une excellente chose.

Encore faut-il être bien sûr du fonctionnement d  l’appareil technique mis en place.

 

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