Quel pied de nez ! C’est le traité de Lisbonne qui va empêcher la Commission européenne d’appliquer son propre pack écolo, plus vert que vert.

Le pacte écologique de la présidence européenne, plus vert que vert, va s’avérer incompatible avec les dispositions du traité de Lisbonne, qui vient ainsi protéger les pouvoirs nationaux.

Quelle ironie de l’histoire ! Ce sont les dispositions du traité de Lisbonne, adopté avec beaucoup de difficultés par les États parce qu’il renforçait la coordination des pays de l’Union en donnant à la Commission plus de pouvoir qu’elle n’en avait, c’est ce même traité qui, aujourd’hui, va renvoyer le projet écologique voulu et présenté par la présidente Ursula Von der Leyen au 14 juillet de cette année.

Les écologistes français se souviennent de ce jour, puisqu’ils venaient d’obtenir l’adoption par le Parlement de la loi organisant la mutation écologique présentée par Barbara Pompili, quand ils ont vu sortir un projet européen autrement plus ambitieux, et plus cohérent aussi.  Le but de Bruxelles est d’atteindre l’objectif visant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990. En bref, faire de l’Europe « le premier continent » à parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050.

Plus ambitieux donc, parce que les objectifs étaient plus forts et les agendas plus rapides. Mais plus cohérent aussi, parce que le dispositif européen s’appuie beaucoup moins sur les injonctions des États avec des sanctions à la clef (comme en France), mais plus sur un appel aux mécanismes de marché, bien aidés par des incitations fiscales et un prix du carbone très dissuasif. Le projet européen apparaissait donc plus fédérateur.

Cela dit, le projet écologique français, avec son détail de mesures punitives à l’encontre du système capitaliste dans lequel nous vivons, et surtout sa critique d’une croissance trop forte et d’une morale de consommation trop frugale, a été bien accueilli par toutes les associations écologiques radicales qui utilisent cette écologie comme outil politique d’opposition. Beaucoup moins bien par les acteurs du système de production.

Le projet européen a été salué en Allemagne comme très courageux par tous les partis politiques qui cherchent surtout à passer des compromis avec les partis de l’écologie en attendant le départ de Mme Merkel  à la rentrée qui risque fort de déstabiliser un équilibre de gouvernement fragile

Mais partout en Europe, les deux initiatives ont été disséquées par tous les lobbies de l’industrie qui voient mal comment assurer le maintien d’une croissance nécessaire à l’emploi et aux engagements sociaux en engageant une mutation aussi catégorique dans un laps de temps aussi court.

Ces projets ont donc provoqué un branle-bas de combat chez les juristes internationaux pour découvrir tous les moyens comment faire avorter ces projets très anti croissance ou alors comment les retarder et les modifier, pour parvenir à éliminer les dispositions les moins compatibles.

Le plus cocasse dans cette affaire est qu’ils ont sans doute trouvé dans le traité de Lisbonne les moyens de faire capoter le projet européen.  

Le traité de Lisbonne encadre actuellement le fonctionnement de l'Union européenne. Sa rédaction et sa naissance officielle ont été bien difficiles. Il a été adopté en 2009 après le rejet du traité établissant une constitution pour l'Europe (TECE), et adaptait en profondeur les règles des anciens traités pour permettre une meilleure coordination à 27 États membres.

Le traité de Lisbonne aurait dû être ratifié par referendum dans chaque pays pour lui donner une forte légalité populaire, mais les peuples ont pour la plupart refusé, à l’exception de l’Irlande qui a pu organiser son referendum.

Du coup, les gouvernements des 26 autres États membres sont passés par leurs parlements pour ratifier le traité, ce qui a donné lieu à des débats assez violents, notamment en France où les souverainistes ont vu là une atteinte à la démocratie.

Il faut dire, en plus, que le traité de Lisbonne donnait à Bruxelles plus de pouvoir pour gouverner, et par conséquent, retirait aux États leur capacité d’influence et leur liberté d’exercer leur  souveraineté.

En épluchant les textes du projet de transformation écologique de Mme Ursula Von der Leyen, ils se sont aperçus que le projet allait au-delà des pouvoirs accordés par le fameux texte de Lisbonne. Et notamment sur deux points de fragilité qu’ils ne manqueront pas d’utiliser:

1er point : les dispositions du projet européen passent principalement par des incitations fiscales, (lesquelles seront certes financées par le budget européen) sauf que l’article 194.3 du Traité de Lisbonne demande l’unanimité pour les mesures « essentiellement de nature fiscale. Pour une raison de fond. L’impôt reste le marqueur premier de la souveraineté nationale. »

2e point : le projet européen comprend de longs développements sur la nécessité de réguler et de coordonner la production et la consommation de l'énergie avec un focus particulier sur les énergies renouvelables. On ne peut que se rendre compte, à la lecture du texte de la Commission, que la gouvernance européenne n’a de goût que pour les énergies naturelles et ignore superbement le nucléaire.

Si le projet est appliqué, ça voudra dire que c’est Bruxelles qui gèrera le mixte énergétique et toutes les mesures d’incitations à prendre pour favoriser telle ou telle source d’énergie. On voit là la posture très démagogique destinée à plaire aux lobbies et réseaux d’influence en faveur des énergies naturelles, même si ces sources-là seraient incapables de garantir la sécurité des approvisionnements et leur stabilité. Notamment en cas de passage au tout électrique. Le projet de Bruxelles ne dit pas ce qu’il faudrait faire avec l’énergie nucléaire, seul moyen de produire de l’électricité décarbonée. Les Allemands connaissent bien le problème. Ils sont les plus chauds partisans de l’énergie solaire et de l’éolien, ils sont donc obligés de faire fonctionner leurs vieilles centrales au charbon pour éviter les coupures  d’électricité. En  attendant, les juristes ont découvert dans le traité de Lisbonne, que l’article 194.2 du traité protège « le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ».

Dont acte ... l’Allemagne a le droit de faire tourner ses vieilles centrales, d’acheter du nucléaire aux Français, d’être le pays qui sponsorise le plus ses éoliennes, pour finalement rester le pays qui pollue le plus en Europe.

Les écologistes français ne seront pas trop touchés par une révision du projet européen. Le projet européen ne leur plaisait pas. Trop liberal , pas assez de moral sans doute , et de volonté de punir pour les pollueurs .

Il était certes encore plus ambitieux, mais surtout il n’était pas assez punitif. Il essayait de peser sur le comportement mais pas par la sanction, plutôt par l’incitation notamment fiscale.

Le débat désormais va quitter les enceintes politiques pour se transporter à la cour européenne de juriste. C’est là que se jugera l’utilité du traite de Lisbonne pour les pro comme pour le contre. Quel etrange procédure pour un si vaste projet  .