Saison 2 : Emmanuel Macron va maintenant être obligé de s’entendre avec Laurent Berger

Laurent Berger, grand gagnant du psychodrame sur les retraites, va engager la saison 2 de son plan de rénovation sociale du pays. Le président de la République sans majorité politique et surtout sans argent, sera obligé d’accepter des compromis .   

Nouvelles CFDT et CGT

Après plusieurs mois de débat sur les retraites, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT aura réussi à sortir grand gagnant et c’est bien le seul, de cette période agitée .  Il va sans doute laisser les clefs de la CFDT à sa successeuse , Marylise Léon, actuellement secrétaire adjoint vers le 21 juin avec l’assurance que le plan de charge qu’il a prévu sera respecté .  Peu probable que la Cfdt change de trajectoire et de moyens d’action.

Le syndicat a renforcé sa position de leader dans le secteur privé , mais il a aussi réussi à entrer dans des bastions du secteur public qui étaient historiquement tenus par la CGT. Globalement il a réussi à conforter son image de syndicat réformiste capable de négocier et gourmand de trouver des compromis au profit de tous. C’est la ligne défendue depuis plus de vingt ans et dont Nicole Notat avait écrit les premières partitions . 

Sur la réforme des retraites , Laurent Berger n’a au fond aucun regret . Il a tenu une position ferme , claire et précise contre le projet présenté par le gouvernement de retarder l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans . Dès le départ il était contre et avait prévenu le président de la République que ça se passerait mal.  Plutôt que de se braquer sur un âge butoir , il aurait préféré une retraite par points qui aurait permis de donner plus de liberté aux salariés et surtout plus de flexibilité au système pour équilibrer son financement.

Mais il savait aussi que pour obtenir un compromis avec le gouvernement , il fallait que le mouvement syndical soit uni . L’opposition à l’âge de départ a servi de ciment à l’intersyndicale.

Laurent Berger qui n’a jamais été écouté par l’Élysée  a donc rejoint le concert des non aux 64 ans avec les autres syndicats et notamment la CGT .

Seulement voilà , le secrétaire général de la CFDT  a toujours dit qu’il respecterait la  légalité Républicaine  et qu’il faudrait accepter le projet du gouvernement au terme des procédures démocratiques.

Maintenant que le chemin de la démocratie a été parcouru , Laurent Berger a repris son bâton de pèlerin du réformisme et espère que le gouvernement l’appellera à la négociation . Dans la foulée , il se déclare désormais opposé au maintien des manifestations qui sont vecteurs de violence  et surtout aux méthodes préconisées par la CGT. Pour lui, la lutte syndicale ne passe pas par la violence et le conflit , et surtout pas par des coups d’éclat qui touchent à la continuité du service public et à l’outil de travail . L’heure est donc venue de discuter avec  le patronat et le gouvernement sur un aménagement des mécanismes de retraites  et surtout des conditions de travail pour lesquels la Cfdt a un objectif très précis.

Cette saison 2 voulue par la Cfdt pourrait s’ articuler autour de deux axes .

La culture du compromis

Le 1er axe qui concerne les retraites n’est pas bloqué . La Cfdt  ne se fait pas d’illusion sur l’efficacité de la réforme telle qu’elle a été promulguée , elle  compte donc bien intervenir dans le contenu des décrets d’application . La Cfdt reste convaincue que la solution réside dans une retraite par points qui ressemblerait beaucoup à l’Agirc-arcco sans date obligatoire de départ mais avec une liberté individuelle de décider du moment et du montant. Quoi qu’on dise , il faudra réussir à équilibrer les régimes de retraites par répartition pour tenir compte de la démographie et de l’évolution des modes de travail . Si rien n’est fait, les régimes par répartition sont condamnés parce qu’ils resteront structurellement déficitaires.

Il y aura certes des solutions qui passeront par une utilisation différente de l’épargne individuelle c’est-à-dire principalement par des systèmes de capitalisation . Ce ne sera ni tabou , ni honteux . La fonction publique a bien accepté une complémentaire par capitalisation obligatoire pour soulager le régime général des fonctionnaires et personne n'a eu de crise cardiaque y compris dans les syndicats les plus durs. La Cfdt sera donc très vigilante sur l’évolution du système  convaincu qu’il faudra remettre la question à l’étude  . Il faudra bien protéger d’une façon ou d’une autre les régimes par répartition qui sont au cœur du modèle social français de solidarité .

Le 2eme axe est pour la Cfdt plus important , il portera sur le renforcement du paritarisme  c’est-à-dire la culture du compromis qu’il falloir renforcer dans tous les centres de pouvoir qui touchent à la vie économique et sociale . La qualité de vie au travail , le partage de la valeur et des profits  dans l’entreprise  et même la cogérance des entreprises . Elisabeth Borne a d’ailleurs repris ces différents sujets dans son agenda de discussion des 100 jours . Ces sujets dominent la réflexion et le travail  de proposition de la CFDT . Ils sont au cœur de son ADN de syndicat réformiste.

La cohabitation entre les pouvoirs et les contrepouvoirs , la collaboration entre les  partenaires sociaux vont devenir incontournables en France pour trouver les moyens d’assumer la compétition internationale et les grandes mutations qui vont s’imposer. C’est vrai dans les entreprises qui fonctionnent pour satisfaire les clients, les actionnaires et les salariés . Les clients votent pour la stratégie de l’entreprise tous les jours en achetant les produits offerts ou pas . Les actionnaires votent en bourse pour donner ou refuser au chef d’entreprise les moyens dont il a besoin pour investir. Normalement , les salariés sont cogérants du système global via leurs syndicats. Encore faut-il que le pouvoir syndical ait la culture du compromis, ce qui est le cas de la CFDT mais  qui manque cruellement aux autres syndicats qui préfèrent le conflit .

Avec un compromis , c’est gagnant/ gagnant pour tout le monde . Alors qu’à l’issue du conflit , il y a forcément un gagnant et un perdant , lequel en viendra à refuser le système de l’économie de marché s’il n’en profite pas .

La grosse erreur de Emmanuel Macron aura été de penser que le fonctionnement des marchés pouvait synthétiser les intérêts de tous ( clients , salariés et actionnaires ) . L'expérience montre que les marchés ont besoin de corps intermédiaires (association de consommateurs , d’actionnaires et syndicats de salariés ) . La présence et la puissance des syndicats réformistes sont d’autant plus importants que nos pays européens ont adopté la cogérance des systèmes sociaux .

C’est évidemment cette cogérance que les amis de Laurent Berger veulent réveiller et mettre en marche .

Des syndicats plus désirables

Tous les syndicats dont la CFDT bénéficient aujourd’hui d’un préjugé plus favorable qu’au moment des gilets jaunes où ils avaient été écartés du jeu .

 Si par un comportement plus responsable , ils s’aperçoivent qu’ils sont plus attractifs et « désirables » ils seront plus puissants dans la négociation. C’est le pari fait par Laurent Berger. Le  problème pour le CFDT ne sera pas la concurrence de la CGT , ou le conservatisme du Medef  mais plutôt sa relation a priori difficile et compliquée avec le président de la République. Le président de la République , ou son entourage proche , n’ont jamais supporté  les positions et les projets de Laurent Berger . Or , ce président plus que  les autres aurait besoin de contrepouvoirs puissants pour terminer son mandat . Il n’a pas de majorité politique pour faire passer les reformes structurelles , il n’a pas de marges financières pour acheter la paix sociale . Les accords  de compromis avec les syndicats  vont être indispensables au bon fonctionnement du modèle français et particulièrement aux réformes de structure .

Sans retomber dans les comparaisons faciles avec l’ Allemagne , il faut savoir que depuis le Covid  et la guerre en Ukraine , l’Allemagne a été obligée de changer son modèle économique pour retrouver de la compétitivité. Elle vient de négocier un accord cadre avec les plus gros syndicats pour renforcer les moyens d’intervention de son administration publique. En termes de salaire , de temps de travail , d’organisation , le gouvernement allemand a obtenu des principaux syndicats des efforts qui seraient inimaginables en France . La pérennité d’un modèle social généreux comme peut l’être le modèle français , ne peut fonctionner que si la cogestion avec les syndicats est possible.

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