Union européenne : le couple franco-allemand ne pourra pas exploser, puisqu’il n’a jamais existé.

Les classes dirigeantes et l’opinion adorent se faire peur. Depuis quelques mois, ils s’inquiètent d’une Europe dont le moteur franco-allemand serait en risque d’exploser. C’est un fantasme. Parce que le couple n’a jamais fonctionné et c’est heureux. 

S’inquiéter et même se lamenter sur les difficultés relationnelles entre la France et l’Allemagne relève plus de la gesticulation politique et médiatique que de la réalité. Après la crise du Covid, la guerre en Ukraine, les risques de pénurie d’énergie, les modifications profondes des modèles économiques, l’accroissement des divergences entre les Etats membres de l’Union européenne ont, certes, crée des complications dans le fonctionnement de l’Union européenne, mais elles n’ont pas plus cassé le moteur européen que brisé la relation franco-allemande, qui serait le cœur de cette relation. Il y a d’ailleurs quelques choses de cocasse dans le concert de commentaires inquiets des observateurs qui nous expliquent que si la relation entre la France et l’Allemagne est perturbée, c’est toute l’Union européenne qui est abimée. Ils n’ont rien compris au film.

C’est cocasse parce que beaucoup de ceux qui s’inquiètent aujourd’hui des difficultés sont ceux-là même qui se plaignaient avant des excès du trop de pouvoir de cette Europe qui aurait tendance à asphyxier les identités nationales. Beaucoup de ceux qui pleurent étaient des partisans de « l’exit » et ont sans doute voté non à Maastricht.

 La vérité est très différente.

D’abord, premier point, l’Europe n’est pas et n’a jamais été une histoire d’amour, c’est une histoire de raison.  La communauté européenne est née sur les ruines de la deuxième guerre mondiale pour trouver un fonctionnement capable de gérer des divergences idéologiques ou culturelles et mettre un terme aux conflits qui ont ravagé les peuples au cours d’une longue histoire.

Au départ, l’Europe a d’ailleurs été une centrale d’achat du charbon et l’acier pour faciliter le décollage économique (la CECA), puis elle est progressivement devenue une copropriété entre des partenaires qui avaient intérêt à mettre en commun certaines ressources pour faire face à des charges communes. Une copropriété, un peu comme dans l’immobilier. Au fur et à mesure, la communauté européenne est devenue l’Union européenne et le traité de Maastricht a mis en place un nouveau règlement de copropriété qui prévoit des charges communes et des obligations. Alors, comme dans une copropriété, il existe des problèmes de voisinage et de cohabitation. Certains résidents sont plus bruyants que d’autres. Certains ne paient pas leurs charges. Mais ça finit pas s’arranger.

Ensuite, deuxième point, la France et l’Allemagne ont bien sûr été les deux moteurs de cette construction, d’abord, parce qu’au départ, ils représentaient plus de la moitié de la richesse globale. Aujourd’hui, la France et l’Allemagne pèsent encore près de 45 % du PIB. La France et l’Allemagne sont donc les deux principaux contributeurs de l’Union européenne, mais ça n’est pas pour cela qu’ils auraient pu avoir une histoire d’amour ou une vie de couple. Il leur fallait déjà digérer et cicatriser les blessures de la guerre et mettre en place tous les moyens pour éviter qu’une telle tragédie puisse se reproduire. 

Le seul moment où on aurait pu dire que la France et l’Allemagne ont une vie de couple est celui où François Mitterrand et Helmut Kohl étaient aux affaires. Les deux hommes s’entendaient très bien et ils ont ensemble géré les conséquences de l’effondrement du bloc soviétique. Les dirigeants allemands rêvaient d’une réunification de leur pays, mais la majorité des Occidentaux n’en voulait pas parce qu’ils avaient peur que la nostalgie du passé ramène en Allemagne les vieux démons d’une grande Allemagne hégémonique.  

François Mitterrand a été le premier responsable européen à encourager la réunification allemande à deux conditions :

Un, que l’Allemagne de l’Ouest paie les frais de la réunification, et notamment la réintégration dans son modèle de plus de 22 millions d’Allemands de l’est, qui étaient dans une situation économique misérable.

Deux, que l’Allemagne accepte l’euro comme monnaie unique et par conséquent, accepte  d’abandonner le Deutschmark. Ce qui pouvait provoquer un traumatisme dans l’opinion. Helmut Kohl a géré et sa majorité a accepté ces conditions.

La relation personnelle et forte entre les deux dirigeants a grandement facilité le consensus politique.

Par la suite, cette relation de couple est devenue une relation d’affaires entre deux partenaires qui ont toujours défendu chacun leurs intérêts.

Enfin, troisième point pour comprendre la situation actuelle, il faut admettre que l’Union européenne, si critiquée dans son fonctionnement (parfois à juste titre), n’a jamais été aussi forte que depuis ces dix dernières années. Paradoxalement, les crises ont renforcé considérablement la cohésion de l’UE et la cohabitation entre la France et l’Allemagne y a contribué. Il ne s’est jamais agi de relations d’amour, mais de pragmatisme partagé avec intelligence.

Lors de la grande crise financière de 2009, le succès des solutions apportées pour garantir la stabilité du système mondial doit énormément à l’intelligence des rapports entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel (à noter d’ailleurs qu’au plus fort de la crise, il n’y avait plus de président aux Etats-Unis, Obama venait d’être élu mais il n’était pas en fonction et son prédécesseur faisait ses valises). Bref, personne n'aurait osé dire qu’il y avait une relation de couple entre Nicolas et Angela. Et pourtant ça a marché. 

Lorsque la Grande-Bretagne est tombée dans l’aventure du Brexit, l’Union européenne est restée unie face à cette épreuve et renforcée dans sa détermination, alors que beaucoup de courants politiques espéraient que le Brexit marquerait la fin de l’Union européenne et de l’Euro. Depuis et devant le chaos dans lequel est tombée la Grande Bretagne, les Brexiters ont disparu, et pour tous dirigeants tentés par le populisme, l’idée de sortir de l’Europe et de l’euro n’est plus un projet, pas même un sujet de débat. Le sujet des Européens ne va être de gérer la sortie de certains membres mais de freiner l’élargissement.

La crise du Covid a montré que l’Union européenne était capable de mutualiser les moyens de lutter contre la pandémie. La crise en Ukraine, loin de souligner les différences, a beaucoup renforcé les solidarités, à commencer par les capacités de financement.

Cette solidarité entre les différents copropriétaires n’empêche pas chacun de défendre ses intérêts et ses particularités. Et si la relation entre la France et l’Allemagne n’apparaît pas aussi chaleureuse qu’avant, c’est évidemment parce que l’Allemagne est un des pays les plus impactés par la crise énergétique. L’Allemagne doit modifier son modèle de production, et sa chaine de valeur. L’Allemagne a perdu ses approvisionnements en gaz pas chers et va devoir s’adapter à une mondialisation qui lui offrira dans l’avenir des débouchés beaucoup moins faciles et profitables. L’Allemagne va sans doute avoir besoin de ses partenaires européens plus que par le passé. Ce n’est pas une raison pour penser que l’Europe va tomber en panne. Au contraire. 

Le couple franco-allemand n’a jamais existé. C’est peut-être une bonne chose. Les couples qui n’en sont pas, se fâchent plus rarement.